Survie

Que cache le réendettement du Congo-Brazzaville ?

(mis en ligne le 17 décembre 2016) - Yanis Thomas

Si la justice française enquête sur des membres du clan de Denis Sassou Nguesso dans le cadre de l’affaire des « biens mal acquis », la justice portugaise est de son côté en train de mettre à jour un vaste scandale de corruption autour de l’entreprise brésilienne Asperbras, qui a obtenu des contrats faramineux au Congo-Brazzaville. Un des plus en vue concerne la construction de la zone industrielle de Maloukou, située au nord de la capitale, dont le montant est estimé à 500 millions d’euros. Autres grands projets, la création de douze hôpitaux ou encore l’évaluation du potentiel minier du pays – en sollicitant au passage l’expertise et les données du BRGM français (le Bureau de recherches géologiques et minières, établissement public héritier de toutes les prospections souterraines faites par la France depuis la période coloniale) [1]. La facture totale s’élève à plus d’un milliard de dollars.

En février 2016, José Veiga, le représentant d’Asperbras au Congo, est mis en examen par la justice portugaise pour corruption, blanchiment et fraude fiscale. Récemment c’est au tour de José Roberto Colnaghi, le président de la société, d’être poursuivi pour corruption et blanchiment d’argent. Au cœur de l’affaire se trouve Gilbert Ondongo, ministre congolais des Finances au moment des faits. D’après le journaliste Marc Guéniat « Selon les éléments recueillis par les autorités portugaises, M. Ondongo, désormais ministre de l’économie congolaise, a acheté un appartement Avenida da Liberdade, la plus cossue de Lisbonne (…). Et ceci grâce notamment à un virement de 347 000 euros effectué en août 2015, provenant d’une société de droit congolais contrôlée par José Veiga, le représentant au Congo d’Asperbras.  » (Le Monde Afrique, 02/12/16) La compagnie brésilienne a aussi mis à la disposition du ministre une villa à Cascais, une station balnéaire non loin de Lisbonne, dans laquelle la police portugaise a trouvé 3 millions d’euros et 4,35 millions de dollars en espèces lors d’une perquisition en février 2016 [2]. L’entourage d’Ondongo s’offusque : qui a osé laisser traîner ces valises « dans un lieu ne lui appartenant pas » ?

Pour la justice portugaise, ces « cadeaux » au ministre congolais sont probablement un renvoi d’ascenseur en rapport avec les projets mirifiques que la société brésilienne a pu décrocher au Congo. En clair, des rétrocommissions. D’où une interrogation légitime : est-ce que ces projets n’ont pas été sciemment surfacturés, dégageant ainsi une marge pour ces rétrocommissions ? Au final, le coût en serait donc supporté par le citoyen congolais. Ce dernier risque d’ailleurs de payer deux fois : le Congo a annoncé début décembre vouloir lever pour 150 milliards de FCFA (229 millions d’euros) par un emprunt obligataire [3] sur le marché financier de la Communauté économique et monétaire d’Afrique centrale (Cemac), notamment « financement des projets de développement inscrits au budget 2016 de l’État et [à l’]apurement partiel de la dette intérieure » (Jeune Afrique, 02/12/16) Trente années aux commandes du richissime État pétrolier n’ont pas permis à Sassou de construire un seul hôpital digne de ce nom. On peut donc douter légitimement douter de la finalité de ce nouvel emprunt. Or, comme on l’a vu, qui construit la « zone industrielle de Maloukou » et les « 12 hôpitaux généraux » ? Asperbras.

[1Asperbras donne aussi dans l’accaparement de terres agricoles. 50 000 ha lui aurait été accordés par les autorités congolaises pour produire de la cane à sucre, du maïs et du soja dans le département de la Bouenza. http://www.journaldebrazza.com/article. php ?aid=4427

[2Contacté par Le Monde, l’entourage de Gilbert Ondongo juge « fantaisiste » le fait de lui attribuer la propriété des sommes trouvées lors de cette perquisition.

[3Une obligation est un titre de créance négociable, représentant une fraction d’un prêt à intérêt consenti à une collectivité publique lors de l’émission d’un emprunt. C’est le moyen privilégié des Etats pour lever des fonds.

#GénocideDesTutsis 30 ans déjà
Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 263 - décembre 2016
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