Au début des années 1980, alors que 40 000 enfants meurent chaque jour faute de nourriture ou de soins élémentaires, une campagne pour une « loi de Survie » est engagée en Belgique, en Italie et en France suite à un appel de 55 Prix Nobel [1]. Visant à « donner valeur de loi au devoir de sauver les vivants », cette campagne réclame une loi pour renforcer et améliorer l’Aide publique au développement (APD).
Cet objectif consensuel, rapidement atteint en Belgique et en Italie, où la loi sera votée respectivement en 1983 et 1985, est porté en France pendant près d’une décennie à l’occasion de plusieurs événements médiatiques : marche des Maires en 1985, allumage de 40 000 bougies devant Notre Dame à Paris, [mobilisation des associations de motards à la Bastille→http://www.dailymotion.com/video/xtjey], appel des joueurs de football de première et deuxième divisions... Bien qu’officiellement soutenue par la majorité des députés à la fin des années 1980, cette loi ne sera jamais discutée à l’Assemblée. Face à ce « plafond de verre », les militant.e.s comprennent que l’APD n’est pas seulement insuffisante ou inefficace : massivement détournée de son objectif officiel, elle alimente les circuits de la corruption et du soutien aux dictatures en Afrique, où les entreprises françaises ont la main-mise sur les ressources.
Cette prise de conscience progressive connaît un tournant radical avec le génocide des Tutsi du Rwanda en 1994 : alors que l’association avait [appelé à cesser de soutenir le régime en place plus d’un an avant le génocide→http://www.dailymotion.com/video/x1ed31], les autorités politiques et militaires françaises se rendent complices des génocidaires. Sous l’impulsion de François-Xavier Verschave, qui deviendra président de l’association en 1995, Survie organise la première mobilisation contre le sommet France-Afrique de Biarritz en novembre 1994, et publie quelques mois plus tard, avec Agir Ici, les six premiers « Dossiers Noirs » de la politique africaine de la France, une collection qui continue de s’enrichir.
Après avoir créé en 1993 lejournal mensuel « Billets d’Afrique » et coordonné plusieurs Dossiers Noirs, François-Xavier Verschave publie en 1998 l’ouvrage fondateur La Françafrique- Le plus long scandale de la République (Stock), puis Noir Silence (Les Arènes) en 2000, pour lequel il sera poursuivi en vain pour « injures à chefs d’Etat » par le Gabonais Omar Bongo, le Tchadien Idriss Déby et le Congolais Sassou Nguesso. Ce procès, dont le récit sera publié, contribuera à faire connaître l’association et à renforcer sa légitimité contre la Françafrique.
Malgré le décès François-Xavier Verschave en 2005, l’association Survie a continué son travail d’information, de mobilisation et de saisine de la justice. La Françafrique est devenue un enjeu de débat politique, tant en France que dans les pays africains concernés. Depuis 2007, les présidents de la République successifs se targuent d’avoir mis fin à la Françafrique, sans jamais la définir. Aujourd’hui, l’enjeu pour l’association est de faire connaître, au-delà des aspects les plus sulfureux (corruption, aventures barbouzardes, etc.), tout le pan institutionnel de la Françafrique : comment l’armée française, le Franc CFA, la validation diplomatique d’élections truquées, les opérateurs de « l’aide au développement », les entreprises françaises, etc. contribuent, dans un maillage complexe, à soutenir des régimes illégitimes et à s’opposer à la souveraineté. L’histoire de l’association Survie est celle d’une prise de conscience que l’aide venue d’autrui ne peut pas remplacer la conquête de ses propres droits, et qu’avant de prétendre aider, les Français.es doivent chercher à ne pas nuire.
Pour un historique plus détaillé sur les deux premières décennies de l’association, voir ici.
[1] rapidement rejoints par d’autres, au point d’être 123 quelques années plus tard