Survie

Edito - L’humanité n’est pas encore défaite

(mis en ligne le 1er mai 2003)

L’avenir des Africains ne se joue pas seulement dans le désamorçage des cercles infernaux de la guerre civile, le sort de la démocratie nigériane, le combat politique contre les pseudo-fatalités de la faim et du sida, il a aussi à voir avec ce qui s’est passé en Irak.

L’Afrique doit pouvoir tenir une toute autre place dans les enjeux du monde, une place éminente, et nous en avons tous besoin. Si tout cela ne se voit pas encore, si nous sommes encore si loin du compte, c’est que, dans le brassage d’énergies qui accélère la mondialisation, les forces destructrices du droit des gens l’emportent encore sur les aspirations à « un autre monde », construit sur le socle des droits des peuples et de la personne. Pour les peuples, nous avions la charte de l’ONU (certes imparfaite) ; et l’on commence à peine de dégager toutes les conséquences politiques, juridiques, financières, etc. de la Déclaration universelle des droits de l’Homme.

Bien qu’il soit né un peu tard, le mouvement altermondialiste porte un immense espoir. Encore faut-il qu’il s’ouvre davantage à l’Afrique et, plus généralement, aux civilisations non-occidentales. Et qu’il trouve la juste parade au hold-up “réussi” par Washington.

Jacques Julliard, le dernier à qui on puisse reprocher un antiaméricanisme primaire, mesure l’ampleur des dégâts dans un éditorial remarquable (Le Nouvel Observateur, 17/04) : « La conversion de la libre Amérique au primat absolu de la force sur le droit représente pour l’Occident la pire défaite morale qu’il ait connue depuis l’instauration des régimes fascistes. » « Les idéocrates qui entourent George Bush [...] ont un objectif : la destruction de l’ONU, ou plus exactement sa réduction à l’état de super Croix-Rouge ».

Dans le monde absurde qui nous est promis, la porte-parole du Programme alimentaire mondial (PAM) bombe le torse : « Nous allons lancer [en Irak] la plus grande opération humanitaire jamais réalisée ». Plus de cent milliards de dollars vont être mobilisés dans ce pays détruit par une guerre illégitime, pour l’urgence et la reconstruction (pas celle des morts). Au Liberia, dans le chaos des guerres civiles oubliées, le PAM n’a obtenu que 2% des 42,6 millions de dollars sollicités pour la survie des réfugiés. Le directeur du PAM admet qu’il est comme pris en otage : « Nous sommes saisis par la guerre en Irak. Mais aujourd’hui, près de 40 millions d’Africains sont en plus grand danger. [... On accepte] des niveaux de souffrance en Afrique qui ne le seraient jamais dans aucune autre région du monde. » Quant aux « contributions volontaires » au Fonds mondial contre le sida, on en reparlera plus tard.

On le sait en Afrique, il y a pire qu’une dictature brute : une dictature légitimée par la fraude et la complaisance de la « communauté internationale ». Julliard fustige le concours des élites françaises, après le blitzkrieg US, « sur la meilleure façon de capituler ». Les médias sont fascinés. La France et l’Union européenne, émettrices d’un discours balbutiant sur le droit international, sont dans le collimateur de l’idéocratie bushienne. La plupart de leurs dirigeants n’ont pas les moyens de résister. Perclus de contradictions, le pouvoir chiraquien amorce un repli qu’il dit « pragmatique ».

Il ne manquerait plus que l’esprit de capitulation gagne les altermondialistes, qu’ils intègrent par « pragmatisme » le « nouvel ordre international » que les États-Unis tenteront d’imposer dans la foulée de leur conquête de l’Irak. Le G8 d’Évian et les nombreuses manifestations qui l’entoureront, fin mai, seront à cet égard un premier test, avant beaucoup d’autres. Disons-le tout net : ce nouvel ordre est invivable (pas seulement sa boulimie pétrolière). Il faut le faire comprendre, participer au refus d’une majorité des citoyens de la planète.

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Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 114 - Mai 2003
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