Survie

Birmanie : Savoir se vendre

(mis en ligne le 1er janvier 2004) - Pierre Caminade

Le groupe Total a bien des difficultés à nous vendre l’image d’une entreprise qui ne soit pas trop compromise avec la dictature qui a rebaptisé son pays « Myanmar ». Plus les pratiques sont indéfendables, plus cela coûte de se procurer une brosse à reluire perçue comme indépendante par l’opinion. Il reste encore quelques personnalités à acheter par les spécialistes ès communication françafricaine, comme un Fodé Sylla pour valider la “réélection” d’Eyadéma au Togo.

Pour la modique somme de 25 000 euros (selon Le Monde du 12/12/2003), Total s’est payé les services d’une mission d’observation de quelques jours de BK Conseil, qui a remis son rapport le 29 septembre. “BK”, comme Bernard Kouchner, au panthéon de la popularité des hommes politiques, aujourd’hui presque unanimement contesté par les associations de défense des droits de l’Homme [1]. Le sabir de son rapport est truffé d’amalgames, de faux débats, de réponses à des accusations qui n’ont jamais été formulées, etc. Objectif : jeter un nuage de fumée sur des compromissions inadmissibles avec la narcojunte birmane.

Le French Doctor nous fournit une illustration de son “malaise” après une telle énormité en répondant à la question de Laure Gnagbé (Nouvel Obs.com, 10/12/2003) : " Mais comment expliquez-vous que Total se soit adressé à l’un de ses premiers détracteurs pour effectuer une telle enquête ? ". La réponse se passe de commentaires : " Mais parce que je ne suis pas mauvais ! Je connais mon travail et suis reconnu pour ça. Avant, j’accusais Total, comme tout le monde, mais je n’étais pas au courant de la réalité sur le terrain. Et, aujourd’hui, je n’ai pas peur de dire que je me suis trompé. C’est tout. [...] Quant à cette histoire de liens avec la juge d’instruction chargée du dossier Total, c’est ubuesque. Je n’étais évidemment pas au courant qu’elle travaillait là-dessus. Une de mes anciennes collaboratrice est juge, ce n’est pas un crime, tout de même ! "

Pierre Caminade

[1La FIDH a diffusé sur sa liste de courriers électroniques une analyse très complète de ce rapport (15/12/2003). Extraits : « La FIDH a pris connaissance avec consternation du rapport rédigé par Bernard Kouchner Conseil [...] La méthodologie suivie par BK Conseil ne respecte [... aucune des deux] règles de base [... indépendance et impartialité]. La FIDH rappelle qu’il est reproché à Total :
 D’avoir occasionné des déplacements de populations et d’avoir forcé à l’exil des centaines de villageois
 D’avoir bénéficié du travail forcé pratiqué par l’armée birmane qui s’est livrée à une militarisation complète de la zone - et d’avoir continué à en bénéficier même après avoir pris connaissance des exactions commises par l’armée
 De fournir un soutien logistique et militaire à l’armée birmane, en outre de lui apporter une caution morale, politique et financière. [...] La FIDH estime que, plutôt que de payer régulièrement des consultants à venir en visite guidée sur le site, Total gagnerait en crédibilité si ses dirigeants autorisaient des enquêteurs effectivement indépendants à se rendre sur le chantier. »

#GénocideDesTutsis 30 ans déjà
Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 121 - Janvier 2004
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