Survie

Coup d’État ou coup de bluff ?

(mis en ligne le 1er juin 2004) - Sharon Courtoux

Dans la nuit du 16 au 17 mai, une insurrection aurait éclaté dans la capitale tchadienne N’Djaména, menée par des officiers des corps de la Garde républicaine, de la garde rapprochée du président Déby et de la Garde nomade et nationale tchadienne (GNNT).

Affirmant en un premier temps qu’il s’agissait d’une manifestation de mécontentement due à des sanctions réprimant des malversations financières au sein de l’Armée nationale tchadienne (ANT), le gouvernement tchadien a fini par concéder que la situation n’avait rien de si anodin. Le 19 mai, le président Déby a déclaré que l’objectif des insurgés était de l’assassiner, attribuant cette intention à des officiers « fanatiques et manipulés ».

Depuis lors, la majorité des observateurs s’accordent pour identifier les insurgés dans l’entourage immédiat d’Idriss Déby. Il s’agirait de militaires de la tribu tchado-soudanaise des Zaghawa, à laquelle est apparenté le clan Bideyat du Président. Selon certaines sources, même des Bideyat feraient partie du noyau central de l’insurrection. Pour le site tchadien Alwihda , « tous les indices montrent que le président tchadien se trouve désormais abandonné par les siens. »

Toujours selon Alwihda, toutes les compagnies de l’ANT sauf la 4 ème se sont insurgées et soutiennent le départ du Président ; les militaires brièvement mis en état d’arrestation auraient tous été relâchés, les négociations entre belligérants se déroulant à l’intérieur du clan.

Selon le journaliste Pierre Prier [1], les putschistes veulent « que le président s’implique sans ambiguïté dans la crise du Darfour. [...] Le clan du président, mené par l’un de ses frères, lui reproche depuis le début du conflit sa position d’arbitre. Les forces tchadiennes auraient d’ailleurs déjà commencé à aider les rebelles Zaghawas soudanais en leur ouvrant leurs magasins d’armes. Avec ou sans l’aval du président ? Toujours est-il qu’hier, les putschistes exigeaient l’envoi d’une force tchadienne au Darfour, pour voler au secours des villages zaghawas ravagés par les milices gouvernementales soudanaises. »

Pour sa part, l’International Crisis Group (ICG) [2] met en question « le rôle du Tchad dans les négociations au cours du dernier trimestre de 2003 entre Khartoum » et la rébellion. Ce rôle « a été erroné et contre-productif, car le Tchad a continuellement manipulé le processus afin de satisfaire la demande de Khartoum d’aborder la crise en tant que problème de sécurité intérieure, sans signification politique. »

Le journaliste Christophe Ayad [3] écrit : « À la demande de Paris, le président tchadien s’est beaucoup impliqué dans une tentative de médiation au Darfour. » Est-ce à dire que la France aurait donné des conseils « erronés et contre- productifs » ? Pour ménager un accès au pétrole soudanais ?

Christophe Ayad en reste à la version géopolitique traditionnelle : « Le ministre de la Coopération, Xavier Darcos, qui se rendra à N’Djaména la semaine prochaine, est chargé de l’assurer du soutien indéfectible de Paris… et d’essayer par la même occasion de juger de la solidité du pion tchadien dans une zone instable, en proie à l’islamisme et à tous les trafics. »

Des associations de défense des droits de l’Homme, jointes à N’Djaména le 17 mai, estimaient que le projet du président Déby de modifier la constitution afin de pouvoir briguer un troisième mandat allait ouvrir une crise sanglante au Tchad. Ces associations doutaient de la réalité de l’insurrection, soupçonnant une mise en scène destinée à justifier la répression de toute forme de contestation des populations.

Le 20 mai, leur collectif (le CADH) a publié un communiqué [4] explicite : « Une fois de plus, des manœuvres orchestrées de toutes pièces sont mises en place pour endormir l’opinion et occulter les graves problèmes auxquels le pays est confronté. [...] Au moment où le peuple tchadien attend le vote de principe de la révision de la Constitution pour instituer une présidence à vie d’Idriss Déby, le pouvoir et ses courtisans mettent en place des scénarios pour détourner l’opinion, intimider les populations. »

Quant à « l’indéfectible soutien » que Paris manifeste à l’égard d’un dictateur abhorré, ces associations seraient fort aise qu’il y soit mis fin. Une source bien informée affirme que des éléments de la garde présidentielle sont omniprésents dans la capitale tchadienne, où des chars circulent sans arrêt. Il en serait de même à Moundou, dans le Sud du pays. Pendant ce temps, il y a au moins une certitude : la purification ethnique au Darfur poursuit son cours.

[1Le Figaro, 19/05, Tchad : le président Déby en difficulté.

[2Témoignage de John Pendergast devant le comité des relations internationales de la Chambre des représentants américaine, 06/05 : Nettoyage ethnique au Darfur, un nouveau front s’ouvre dans la guerre sanglante au Soudan. Traduction de l’anglais par nos soins.

[3Libération, 19/05, Tentative de coup d’État maîtrisée au Tchad.

[4AFP 20/05 : Un collectif d’associations s’interroge sur la réalité de la crise

#GénocideDesTutsis 30 ans déjà
Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 126 - Juin 2004
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