Survie

France : A Fleur de Presse : Affaire Clearstream

(mis en ligne le 1er juillet 2004) - François-Xavier Verschave

Le Figaro (Éric DECOUTY),

  1. Enquête sur un éventuel blanchiment, 19/06/2004 :
    " Au siège de Clearstream, on se refuse à tout commentaire. La chambre de compensation luxembourgeoise [...] est pourtant dans le collimateur du juge Van Ruymbeke. En février 2001, un livre du journaliste-écrivain Denis Robert avait déjà mis l’institution financière au cœur de l’actualité. Cette longue enquête a d’ailleurs donné lieu à l’ouverture d’une information judiciaire à Luxembourg, procédure toujours en cours.
    Mais les investigations actuelles [...] sont menées à Paris par Renaud Van Ruymbeke. Et la première lettre anonyme a mis le magistrat sur la piste du système dit des "comptes jumeaux" qui pourrait permettre les pratiques les plus troubles.
    Le mécanisme sur lequel la justice enquête peut se résumer ainsi. Tout d’abord, seules les banques ou sociétés financières de Bourses peuvent bénéficier d’un compte dans une chambre de compensation. Première étape : une banque X décide d’ouvrir un compte à Clearstream. Le compte dit "publié" est officiel. À partir de ce compte, Clearstream ouvre des sous-comptes plus opaques. Dès lors, des fonds peuvent circuler de la banque à ces sous-comptes.
    Deuxième étape : Clearstream, sur l’intervention de simples chargés de clientèle, ouvre des comptes dans une banque Y. [...] Ces comptes sont dits "jumelés" avec les sous-comptes précédents.
    Ce mécanisme, dans l’hypothèse qui reste à vérifier où un client de la banque X voudrait blanchir de l’argent, permet la circulation des fonds jusqu’à la banque Y, sans que ni ce client ni la banque X n’apparaissent. Seuls sont au courant les principaux acteurs. Un constat qui fait dire à un spécialiste financier "que les lettres anonymes reçues par le juge viennent nécessairement de l’intérieur même du système". [...] Pour la première fois, un juge est en passe de mettre au jour des circuits financiers opaques et jusqu’alors imperméables. "
  2. Clearstream : une troisième lettre anonyme, 23/06/2004 :
    " Le juge Renaud Van Ruymbeke, qui instruit le dossier des commissions versées lors de la vente de frégates à Taiwan, a reçu, en fin de semaine dernière, une troisième lettre anonyme. Après une première missive début mai puis un cédérom contenant les numéros de code de "milliers de comptes bancaires", le corbeau a expédié au magistrat de nouveaux documents. Les services de la Chancellerie ont été immédiatement informés du contenu de ce courrier anonyme qui recèle une vingtaine de noms de personnalités françaises, parmi lesquelles plusieurs hommes politiques. "
  3. Le corbeau, un "fin connaisseur" de la finance internationale, 23/06/2004 :
    " L’identité du corbeau qui a écrit trois fois en moins de deux mois au juge Renaud Van Ruymbeke suscite les plus vives interrogations parmi les acteurs qui ont directement ou indirectement accès au dossier judiciaire des frégates de Taiwan. Car celui (ou ceux) qui se dissimule derrière les envois anonymes n’a pas le profil courant des délateurs qui abreuvent les magistrats financiers.
    De source judiciaire parisienne, il ne fait aucun doute que le corbeau est, ou était, au coeur du système Clearstream au Luxembourg. La description de certains mécanismes propres à la chambre de compensation, les numéros de compte et le cédérom avec sa masse de chiffres plaident pour un "très fin connaisseur" des coulisses les plus secrètes de la finance internationale, selon une source proche du dossier.
    Autre élément noté par les observateurs, les première et troisième lettres ont été postées de Paris, tandis que le second envoi - celui du cédérom - est en revanche parti de Lyon.
    Enfin, il semble que les différents courriers soient issus du même logiciel informatique. Des pistes qui rendent le corbeau impossible à identifier même si divers "intervenants" se sont lancés à sa poursuite... "

Nous citons presque intégralement ces brefs articles du plus haut intérêt. Il ne s’agit pas que de l’affaire des frégates de Taiwan et de ses milliards, à propos desquels des "intervenants" ont déjà liquidé plus d’une demi-douzaine de personnes. Il s’agit de toute l’architecture parallèle de la finance internationale, utilisée entre autres par les principaux services secrets, en connivence avec les multinationales, les principales banques et les mafias - l’aveuglement des décideurs politiques étant généralement acquis par les moyens quasi illimités de la grande corruption. Un sujet très très chaud, et nous espérons que l’on a accordé une protection renforcée au juge Van Ruymbeke.

Les paradis fiscaux, c’est un monde largement virtuel, un jeu de miroirs. Une grande place financière (New York, Londres, Paris, Francfort...) fait semblant de déplacer une partie d’elle-même dans un territoire lointain, mais ce démembrement est presque exclusivement piloté depuis la place initiale. Avantage :une partie de l’activité est désormais protégée par le secret. La chambre de compensation internationale Clearstream, fondée entre autres par les banquiers des mafias et des services secrets de l’Alliance atlantique, gère un immense troc planétaire, brassant des dizaines de milliers de milliards de dollars de titres financiers. Le système des comptes "jumelés" permet de débloquer les sommes frauduleuses planquées dans les " sous-comptes opaques " en les faisant resurgir à un autre bout du réseau financier mondial, pour n’importe quel motif, y compris une spéculation heureuse. Les origines et destinations de l’argent peuvent être aisément brouillées dans l’énorme masse des compensations financières quotidiennes.

La compensation est un outil essentiel de la circulation de l’argent. Il requiert en principe un haut degré de déontologie et de contrôle public (ce fut notamment le rôle des banques centrales à l’échelle nationale). Car si le compensateur des flux interbancaires officiels se met à compenser l’argent noir... c’en est fini, on le devine, de la démocratie et de tous les biens publics. Il est hallucinant d’avoir laissé prospérer sans contrôle public un instrument aussi puissant dans le paradis fiscal luxembourgeois. Peut-être qu’un "initié" en a pris conscience, et a fait le don courageux de son savoir à un bout de justice indépendante... À suivre, avec la plus grande attention !

François-Xavier Verschave

#GénocideDesTutsis 30 ans déjà
Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 127 - Juillet Août 2004
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