Survie

Paris tend la main au président tchadien

(mis en ligne le 1er septembre 2004) - François-Xavier Verschave

Le Figaro, Paris tend la main au président tchadien, 09/08 (Pierre PRIER)

« Une crise peut en cacher une autre. Derrière l’engagement – réel – de la France dans l’aide humanitaire aux réfugiés du Darfour, Paris poursuit un autre but : tendre la main au président tchadien Idriss Déby, menacé par le conflit. Preuve de l’urgence : c’est la première fois que les forces françaises positionnées au Tchad sont engagées dans une mission à caractère militaire – la “sécurisation des frontières” – depuis les années 80. […] Le président Déby peut mesurer le changement, lui qui, à la fin des années 90, avait demandé en vain l’aide des avions de transport du dispositif français contre les rebelles toubous du MDJT, dans le nord du pays.

Mais cette fois, il y a le feu à la maison, estime-t-on à Paris. La mission des Français est délicate. Les militaires vont tenter de protéger une gigantesque frontière où plusieurs guerres se jouent en miroir. Le Tchad accuse le Soudan de laisser les milices arabes soudanaises, les Djandjawids, envahir son territoire pour attaquer les “Noirs” soudanais réfugiés sur le sol tchadien. Le Soudan accuse à son tour le président Déby d’avoir envoyé ses soldats lutter aux côtés des rebelles du Darfour. Idriss Déby, qui avait un temps joué les arbitres, y a été acculé par sa propre famille. Des proches ont essayé en avril de fomenter un coup d’État contre lui. Ils lui reprochaient, entre autres griefs, de refuser son aide aux rebelles darfouriens du MJE (Mouvement pour la justice et l’égalité), dont beaucoup appartiennent à la même ethnie que le président, les Zaghawas. En outre, la famille d’Idriss Déby est liée à des chefs rebelles par des liens de parenté. Mais les forces zaghawas du Soudan pourraient avoir un deuxième agenda, celui de prendre le pouvoir à N’Djamena. Idriss Déby est bien placé pour le savoir, lui qui prit le pouvoir à partir du Soudan : le danger vient toujours de l’Est.

Deuxième foyer de tension : les Arabes tchadiens, apparentés à ceux du Darfour. Ils représentent 21 % de la population tchadienne et ont fourni de nombreux ministres au Tchad durant son histoire. Mais aujourd’hui, la crise de confiance entre la communauté arabe et le gouvernement est ouverte. Les leaders arabes se plaignent d’une “chasse aux arabes” qui aurait lieu au Tchad, où certains les appellent “Djandjawids”, du nom des milices arabes soudanaises.

Les Arabes tchadiens se plaignent aussi de voir leurs villages attaqués par des rebelles “noirs” du Darfour, qui, tout comme leurs ennemis les Djandjawids, traversent la frontière du Soudan vers le Tchad. La guerre ethnique rôde : certains idéologues extrémistes, des deux côtés, rêveraient de faire du Darfour une zone exclusivement “arabe”, et du Tchad une zone exclusivement “noire”. […]

La présence militaire française va aussi se heurter aux intérêts d’autres “joueurs” internationaux : les États-Unis, qui ont, au moins au début, donné un coup de pouce aux rebelles soudanais, pour faire pression sur le gouvernement de Khartoum. Et le colonel Kadhafi, qui considère le Tchad comme son arrière-cour et prend ces temps-ci le parti des Arabes tchadiens. Il l’a dit au président Déby. Un président menacé de tous côtés, auquel Paris tente aujourd’hui d’offrir un rempart, conscient que la déstabilisation du Tchad entraînerait une catastrophe régionale. »

D’un côté on observe la contagion de l’idéologie de la « purification ethnique ». De l’autre on suit le raisonnement classique (et tragique pour les populations tchadiennes) selon lequel la stabilité du Tchad serait liée au soutien par Paris d’un “seigneur de la guerre” nordiste.

Ainsi, les « nécessités géopolitiques » amènent la France à ménager d’un côté le régime soudanais, criminel contre l’humanité, et de l’autre la dictature d’Idriss Déby, qui a lui aussi commis de nombreux massacres à caractère ethnique.

Dans le sud du pays, ses partisans, soutenus par une administration et des « forces de l’ordre » clanico-mafieuses, continuent impunément leurs assassinats et autres exactions. Tandis que la richesse pétrolière du Tchad s’écoule vers les coffres des banques étrangères…

#GénocideDesTutsis 30 ans déjà
Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 128 - Septembre 2004
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