Survie

Tribune : Togo : Faut-il ou non espérer ?

(mis en ligne le 1er février 2005) - Jean-Baptiste Dzilan, alias Dimas Dzikodo

par Jean-Baptiste Dzilan, alias Dimas Dzikodo

Au lendemain de l’adhésion aux forceps par le gouvernement togolais de la feuille de route de l’UE qui faisait la démocratisation du pays un préalable à la reprise de sa coopération avec le Togo, suspendue depuis une décennie, une lueur d’espoir semble illuminer les cœurs et les visages des Togolais, et nous rappelle singulièrement l’espérance qu’ont suscitées les prises de position de l’ancien chef de gouvernement Agbéyomé Messan Kodjo au moment de sa démission en juin 2002, contenues dans son testament politique intitulé : « Il est temps d’espérer ».
Cette fronde n’a pas résisté à la détermination du Général de modifier la constitution pour se maintenir à la tête de l’État, en violation de ses engagements pris devant le président Jacques Chirac en juillet 1999 et de son serment militaire de prendre sa retraite politique en juin 2003. Le peuple, suite à cette palinodie, s’est réfugié dans la résignation et la prière, et attend toujours le Ciel pour sa libération.

Il a repris le chemin de l’espérance quand, le 14 avril dernier, le gouvernement, suite à l’asphyxie financière de l’État, s’est vu obligé d’accepter une ordonnance de la Commission européenne, qui connaissait depuis des lustres les graves manquements de ce régime en matière de gouvernance politique et économique. C’est la raison pour laquelle elle a mis sur la table de négociation une thérapie en 22 points dont la stricte application devrait guérir le Togo de son déficit démocratique chronique, et l’ouvrir à la modernité et au développement économique.
Mais cette nouvelle espérance ne sera que de courte durée au regard des résistances affichées et des manœuvres orchestrées par le régime dans la mise en œuvre des engagements auxquels il a librement souscrit à Bruxelles. Ce qui semblait aller de soi pour sauver un pays qui va à la dérive est devenu un corset pour ceux qui sont habitués à gouverner en marge des lois et des principes démocratiques depuis plus de quatre décennies.

Il aurait fallu, comme l’avaient suggéré certains leaders politiques, un gouvernement et un parlement de transition pour qu’une rapide exécution de cette ordonnance mette fin au calvaire d’un peuple frappé de septicémie et de résignation.

Cela relève d’une grave absurdité que de confier la charge des reformes indispensables pour résorber le déficit démocratique à des violateurs patentés des droits de l’Homme, dont l’incurie et la gabegie n’ont d’égales que le mépris dans lequel ils tiennent les populations. Cela ne devrait étonner personne, car la légitimité de leur pouvoir ne réside pas dans les urnes mais dans l’instrumentalisation de la violence récurrente.
L’avenir de cette ancienne colonie germano-franco-britannique de 56 600 km², avec une population avoisinant les 5 millions d’âmes, paraît sombre et comporte des facteurs aggravants et dirimants pour la paix et la stabilité sous-régionales. Il serait temps d’en prendre conscience et d’en tirer les conséquences, afin que les lobbies stipendiés qui œuvrent pour l’éternité du Général au pouvoir comprennent que les Togolais sont des victimes de ce “tsunami” tyrannique qui échappe à la vigilance des médias occidentaux.

Depuis le 14 avril, date de la signature des 22 engagements, force est de constater que le bilan de leur application est à ce jour fort peu reluisant. Même si, sur le plan “libertés fondamentales”, des ravalements de façade et des aménagements cosmétiques sont opérés au niveau des textes, sur le terrain la situation n’a guère évolué, et les atteintes aux droits de l’Homme continuent de prospérer.

La détention abusive au delà du délai de garde à vue, suivie de tortures et traitements inhumains et dégradants, l’intimidation des journalistes trop indépendants, l’achat des consciences, la corruption et persécution des leaders politiques et des responsables étudiants, rythment le quotidien des Togolais. La liste des entraves aux libertés et au respect des droits élémentaires des citoyens est loin d’être négligeable.

Pendant ce temps, le clan au pouvoir s’illustre dans une kyrielle d’affaires aussi louches que juteuses, allant du blanchiment aux trafics de tout genre, et le peuple pris en otage agonise et manque du minimum vital.

Toucher son salaire de fin de mois, dont le niveau est bloqué depuis plus de 20 ans, sur un marché où le pouvoir d’achat est érodé par l’inflation, relève du miracle et la plupart de nos concitoyens se contentent, la mort dans l’âme, d’un repas quotidien difficilement acquis. La prévarication semble être un jeu favori pour ceux qui ont l’immunité et la garantie de l’impunité.

En dépit des dénonciations de la presse sur des prélèvements illégaux sur la trésorerie de la société cotonnière, du port de Lomé, de la société des phosphates, sur la liquidation de l’office des produits agricoles, sur le pillage du Trésor public, force est de constater la persistance des faits dénoncés et l’impossibilité, pour une justice ligotée aux ordres du Prince, d’ouvrir la moindre information judiciaire contre les délinquants drapés du sceau de la République.

Les centres hospitaliers n’existent que de nom et ne sont en réalité que l’antichambre de la mort. L’insalubrité généralisée, l’université et les établissements scolaires sont laissés à l’abandon, les chercheurs et les enseignants surveillés, les retraités oubliés, les paysans et les jeunes diplômés laissés pour compte, comptabilisés en pertes et profits d’un régime qui navigue à vue et qui est à bout de souffle.

Dans l’ensemble du pays, les routes sont dans un état de délabrement avancé. Les ressources du Fonds d’Entretien Routier, fortes de plusieurs dizaines de milliards de francs CFA prélevés sur la distribution des produits pétroliers, sont détournées pour couvrir les dépenses somptuaires à la gloire du Prince qui à l’évidence a d’autres soucis que le bonheur de ses concitoyens.
Les opérations de privatisation des entreprises publiques furent des occasions pour nos gouvernants de se substituer à l’État actionnaire, pour s’offrir à titre privé des pans entiers de l’économie nationale avec l’argent du contribuable.

En dehors de ce spectacle au sommet somme toute désolant, nous assistons impuissants à l’émergence d’une race d’homme d’affaires rapaces issue de l’écurie familiale au pouvoir. Ceux-ci s’en donnent à cœur joie d’écumer les sociétés de la place et traitent avec elles des volumes d’affaires qui donnent le tournis, en s’exonérant du paiement des droits de douanes, de la TVA, et des impôts sur les résultats. L’économie nationale est désormais sous contrôle des bandes mafieuses qui rivalisent entre elles et livrent le pays à des pillages éhontés.

Une colère légitime se lit dans les yeux des damnés de la faim et de la misère que bon nombre de Togolais sont devenus dans ce petit rectangle promis aux premières heures de l’indépendance à un bel avenir.

Sur le plan politique, les observateurs avisés pensent que la récente déclaration du pouvoir de dissoudre l’Assemblée nationale n’est qu’un leurre de plus en vue d’abuser l’Union européenne à l’annonce de l’arrivée à Lomé du Commissaire au développement et à l’action humanitaire, M. Louis Michel.

Les promesses n’engagent que ceux qui les reçoivent, dit-on. Les Togolais en ont fait déjà l’amère expérience. Le vieux Général n’est pas un novice en la matière. Il a déjà violé son serment militaire de quitter le pouvoir en juin 2003, et s’illustre en expert dans l’art du double langage et de la manipulation.

Organiser de nouvelles élections législatives avant juin 2005 - pour remplacer l’assemblée actuelle, frauduleusement élue, dont la mission fut de modifier la Constitution afin d’offrir un pouvoir sans partage et sans fin au souverain togolais - suppose une série de travaux préparatoires : la révision des listes électorales et du découpage électoral, l’établissement des cartes d’électeurs, le choix des observateurs neutres, l’élaboration du budget de ce scrutin, la mobilisation des ressources afférentes et la définition du cadre électoral - qui constitue la pomme de discorde entre le pouvoir et l’opposition.

Pour l’heure, les discussions semblent bloquées et les acteurs politiques se regardent en chiens de faïence, alors que tous les indicateurs économiques et sociaux donnent des signes d’alerte stridents. Même la dernière contribution de l’opposition pour donner du souffle au dialogue, articulée autour de onze points visant à améliorer le code électoral, fut balayée d’un revers de main par les tenants de l’immobilisme suicidaire de notre pays.

Comment peut on faire aboutir une négociation politique quand l’un des protagonistes, fort de sa position dominante, refuse d’écouter ses adversaires, use des subterfuges, mise uniquement sur le recours à la violence et la corruption de ceux de ses adversaires qui n’ont d’idéal que leur autopromotion ?

En réalité, au Togo, nous avons une opposition atypique, qui est d’accord sur la diagnostic accablant de la gestion du pays par le pouvoir, mais qui reste divisée sur la stratégie à déployer pour mettre fin à un système inique, préoccupés qu’ils sont tous à vouloir chacun succéder au vieux dictateur.

Entre ces deux entités, on retrouve une société civile qui manque d’organisation et de moyens et se trouve être la proie facile de l’argent corrupteur qui la dévie de son rôle et de sa partition dans la lutte pour l’alternance pacifique au Togo.

Il est donc fort à parier que le calendrier électoral envisagé par le Vieux Dictateur soit reporté à une autre date, et l’opposition accusée d’en être responsable. Ce scénario est le même que le régime joue depuis l’ouverture démocratique au Togo il y a une décennie, avec les mêmes acteurs. Pendant ce temps, Eyadéma continuera de gouverner avec les méthodes décriées, adoubé par ses parrains occidentaux qui, bien que conscients de la déconfiture prononcée du pays, préfèrent ménager leur protégé pour garantir leurs cyniques intérêts, abandonnant le peuple corvéable à son triste sort.

Devant ce sombre tableau, le peuple résigné et pris en otage a cessé d’espérer, et de croire au miracle. L’histoire nous rappelle qu’aucun peuple n’a obtenu sa liberté sur un plateau d’argent, il faut lutter et refuser de se courber l’échine devant l’incurie et l’injustice de nos gouvernants. Le mur de Berlin n’est pas tombé tout seul. Il l’est par la soif de la LIBERTÉ et la détermination des Allemands de vivre ensemble en hommes libres.

Certes, la période de la guerre froide est révolue, mais malheureusement les changements que cela a induit ailleurs n’ont pas affecté les rivages des anciennes colonies françaises, au nom d’une doctrine dont l’hypocrisie à peine dissimulée est un rempart pour nos dictateurs : « NI INGÉRENCE, NI INDIFFÉRENCE ».

Cette doctrine est une bombe à retardement qui risque à moyen terme de compromettre les relations séculaires qui lient la France à nos pays et particulièrement au Togo. Pour l’heure, les Togolais n’ont aucune raison d’espérer un changement dans leurs conditions de vie, à moins d’une surprise dont seuls les retournements de l’Histoire ont le secret. Pauvre Togo ! France, qu’a tu fais de ton engagement de défendre la LIBERTÉ et les droits de l’Homme dans le monde ? Le Togo est peut être un pays enfoui sur la planète Titan !

#GénocideDesTutsis 30 ans déjà
Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 133 - Février 2005
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