Survie

Congo Kinshasa : Imbroglio sous les décombres (VII) : Ituri, qui a (re)mis le feu au poudre ?

(mis en ligne le 1er avril 2005)

« Tout a commencé le dimanche 12 décembre 2004 », écrit un correspondant de Bunia à ARPI-France  [1] début mars. Et de raconter que ce jour là, des amis lendu rendent visite à Ferdinand, de l’ethnie hema, en principe dans le cadre des efforts devant amener à une cohabitation pacifique entre les deux groupes. Ils boivent ensemble une boisson locale préparée par l’épouse de Ferdinand, pour laquelle celle-ci demande d’être rétribuée. La visite se termine par l’assassinat du couple par les visiteurs : « La poudre est mise au feu, le feu est allumé », poursuit le correspondant, « car depuis lors, les combats n’ont pas cessé ».
16 mars, le Service d’information des Nations-unies communique : « “Le conflit dans l’Est de la République démocratique du Congo (RDC) constitue, par le nombre de vies perdues, la plus grave crise humanitaire dans le monde, avant même la guerre civile au Darfour [c’est tout dire !]”, a estimé Jan Egeland, Secrétaire général adjoint aux affaires humanitaires, lors d’une conférence de presse donnée aujourd’hui au siège de l’ONU à Genève. »
Entre-temps, le feu a en effet repris en Ituri, dans le territoire de Djugu (au nord de Bunia, capitale de l’Ituri), où il brûle des villages, tue, viole. Jusqu’à début février, cela ne suscite pas de réaction au-delà des cercles initiés  [2]. De nombreuses agressions contre les civils hema, commises par les milices lendu du Front nationaliste et intégrationniste (FNI), sont pourtant signalées. Curieusement, peu visent les milices hema de l’Union patriotique congolaise (UPC)... Des sources locales affirment que les milices hema, quoique armées, disparaissaient avant ou au moment des attaques lendu, « laissant brûler des centaines de villages dans le territoire Djugu ».
Le 1er février, Floribert Ndjabu, responsable politique du FNI, intervient sur une radio de Bunia pour désavouer ces exactions. La MONUC, qui se tenait coite depuis des semaines (d’où le soupçon, par les populations hema, de sa complicité avec le FNI), rompt le silence le lendemain et parle, enfin, des localités agressées, des morts, des femmes amenées en « esclaves sexuelles », etc. Fin février, on comptait environ 70 000 personnes déplacées dans les sites protégés - chiffre qui ne tient pas compte de celles qui ne les ont pas ralliés.
Une demi-douzaine de milices sévissent en Ituri. Elles ont signé un accord de paix en avril 2003 et renouvelé cet engagement un an plus tard. Des chefs militaires de cinq d’entre elles, ramenés à Kinshasa, ont été nommés au rang de général (sans affectation) le 11 décembre 2004. Si l’effet attendu d’une telle procédure était l’avènement de la paix, on ne peut que constater qu’elle a produit l’inverse.
Le bureau de Bunia de l’institut de recherche Afrika Initiative Programme (AIP, Ituri Watch) pose la question dans la section de son dernier rapport (05/03) consacrée aux causes de la situation : « Un plan de déstabilisation de l’Ituri ? » Selon AIP, les milices hema de l’UPC-L (tendance Lubanga, proche de Kigali) ont intensifié leurs menaces à l’égard des personnels humanitaires actifs dans la région, notamment au bénéfice des populations hema. L’institut ajoute que ces mêmes milices n’ont pas opposé de résistance aux assaillants lendu qui attaquaient les villages des populations en question, tout en commettant elles mêmes des exactions sur celles-ci. Ajoutant que des sources crédibles signalent l’arrivée d’armes destinées à l’UPC-L en provenance de l’Ouganda (information non encore confirmée), l’AIP commente : « Il est difficile de savoir ce qui est réellement en train de mijoter. » L’organisation ajoute que l’UPC-L et le FNI semblent s’être coalisés, explicitement ou tactiquement, pour installer le chaos. Dans quelle intention ? Encouragés par quelles incitations, « autorisations tacites », déficits d’intervention, de volonté politique ? That is the question.
Les richesses de la région ne sont certes pas pour rien dans ses malheurs. Cependant, l’évocation de l’« l’achat des chefs » par diverses parties intéressées, celle d’une « main invisible » derrière l’installation du chaos s’inscrivent, explicitement ou entre les lignes, dans tous les commentaires locaux. Il ne faut pas y voir la suggestion de quelque mystérieux complot, car on comprend en les lisant que sont visés le (ou les divers éléments du) gouvernement provisoire congolais, l’Ouganda, le Rwanda, l’ONU et les acteurs occidentaux impliqués dans le processus de transition en République démocratique du Congo. Au choix. En fonction d’intérêts qui n’épousent pas celui de l’Iturien moyen.
Le 25 février, les milices du FNI ont attaqué des forces de l’ONU à une soixantaine de kilomètres à l’est de Bunia, tuant 9 Casques-bleus. Pour s’opposer à la présence de l’organisation internationale en Ituri, saper ses efforts en matière de protection des civils ? La réaction de la Monuc fut vive, jusqu’à susciter des réactions négatives de certains humanitaires pris de court dans les incidences de la riposte - et l’amertume des populations qui reprochent aux forces de la paix de n’être intervenues énergiquement qu’une fois atteintes elles-mêmes dans leur chair.
Qui a intérêt au chaos (ce n’est pas le cas de la majorité des populations concernées) ? Il est permis de se poser la question. Comment les acteurs engagés dans l’imbroglio congolais lui ouvrent-ils un chemin ou tentent-ils de le lui fermer aujourd’hui ?
Observons que le Bureau de coordination des affaires humanitaires des Nations Unies (OCHA) souligne « la menace de “l’iturisation” du Sud-Kivu »  [3] - où l’activité des groupes de miliciens hutu rwandais redouble d’intensité. Américains, Belges et Français seraient en discussion sur ces questions. En vue d’adopter une approche commune ? Selon certains observateurs, ce ne serait pas acquis. Il ne serait pas inutile de demander à ces diplomates fort peu bavards ce qu’ils savent de plus que ce qu’ils disent. Notamment : qui a (re)mis le feu aux poudres en Ituri, et au-delà ?

Sharon Courtoux

[1Association pour la réconciliation et pour la paix en Ituri.

[2L’Abbé Alfred Buju, coordonnateur de la Commission Justice et Paix/Bunia, après avoir commenté la situation dans un document en date du 17/02, écrit : « Tout en continuant à saluer [...] les efforts de réconciliation [...], il nous paraît pourtant paradoxal de constater que face à cette situation alarmante, toutes les instances censées réagir devant de telles circonstances ont observé un silence inexplicable : le gouvernement de transition, la Monuc, la Communauté Internationale, les confessions religieuses, les organismes humanitaires, les ONG [qui] ne se sont fait voir qu’après coup, quand les violences et leurs conséquences avaient déjà produit leurs effets au plus haut degré. »

[3Voir notamment l’article de Colette Braeckman, Retour au pays pour les ex-miliciens rwandais, in Le Soir de Bruxelles, 18/03 : « La terreur règne à nouveau sur les campagnes du Sud Kivu et pousse des milliers de civils à se réfugier à Walungu [...]. Elle est quotidienne et elle a pris ces dernières semaines une âpreté nouvelle ».

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Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 135 - Avril 2005
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