Survie

Togo, mai 2005 - 2 : Jour de scrutin, nuit post-électorale : Lomé coupé du monde, un peuple abandonné par la communauté internationale

(mis en ligne le 1er mai 2005) - François-Xavier Verschave

Comme lors du scrutin présidentiel de 1998, avec le raz-de-marée en faveur de l’opposant Gilchrist Olympio  [1], le peuple togolais s’est fortement mobilisé pour interrompre la dictature. Non seulement il est allé voter, malgré de nombreux déficits d’organisation, mais la société civile (notamment la Ligue togolaise des droits de l’Homme, LTDH) et les Églises ont multiplié leurs observateurs sur tout le territoire. Le mouvement Justice et Paix, en effet, a su fortement impliquer les Églises chrétiennes en faveur de la transparence électorale. Tout ceci malgré les commandos du régime et les miliciens du RPT (le parti des Gnassingbé père et fils), qui ont multiplié les intimidations et les exactions jusqu’au jour du scrutin. Pendant ce temps, les communicants français envoyés par Paris géraient la campagne de Baby Eyadéma avec leur insondable mépris du “nègre” : « L’avenir, pensez y Faure ! » ; « Avec Faure, nous serons plus forts ! ». Le ministre de l’Intérieur François Boko, qui avait mis en garde dans la nuit de jeudi à vendredi contre un « processus électoral suicidaire » et avait été aussitôt limogé, s’est réfugié à l’ambassade d’Allemagne - un pays qui, contrairement à la France, n’est pas satisfait de ce processus. Comme ce ministre a continué de dire ce qu’il pensait de la fraude en préparation, le site gouvernemental republicoftogo.com s’est mis à traiter l’ambassade allemande de « base arrière de l’opposition »(23/04). Parmi les fraudes observées dans la journée de dimanche : l’opposition a intercepté une femme qui avait dans son sac 796 cartes d’électeurs vierges ; des cars sont venus du Niger avec des personnes voulant se faire passer pour des électeurs togolais ; des circuits de vote parallèles ont été mis en place, des militants du RPT ont été surpris en train de bourrer des urnes, des gens sont venus voter alors qu’ils n’en ont pas l’âge, d’autres ont voté plusieurs fois, l’encre sur leurs doigts n’étant pas indélébile... Nous n’avons eu que très peu de résultats sortis des urnes. À Lomé, ceux dont nous avons eu connaissance ressemblent à un plébiscite en faveur du candidat unique de l’opposition, Emmanuel Akitani Bob. Un exemple parmi d’autres, observé par le délégué de Survie : 250 voix pour Akitani, 6 pour Faure Eyadéma, 3 pour Nicolas Lawson, 2 pour Harry Olympio. Autre fait très significatif : le vote anticipé des militaires, supposés les fidèles du régime, aurait été favorable à Akitani, avant d’être évidemment “rectifié“. Ce serait l’une des causes de la défection de François Boko. Nous n’avons pas davantage de chiffres car, peu après la fermeture des bureaux (17h), l’ensemble des communications téléphoniques ont été coupées, ainsi qu’Internet : on ne peut imaginer signe plus clair de la nécessité d’un vaste tripatouillage nocturne des résultats, sans que l’opposition et la société civile ne puissent opérer elles-mêmes leurs décomptes. D’ailleurs, l’armée n’hésite pas à disperser manu militari les citoyens qui veulent assister au dépouillement des urnes et au report des résultats. Le dernier appel de notre délégué signalait des tirs dans Lomé... Une source sérieuse nous indique que cet “habillage” des résultats se ferait avec la complicité des observateurs de la CEDEAO - que l’on n’a d’ailleurs pas vu très actifs sur le terrain. Ce ne serait qu’une confirmation supplémentaire de ce que Jacques Chirac a su circonvenir cette organisation. Dimanche soir à Lomé, l’inquiétude dominait : s’il y a fraude massive avérée permettant à Faure de se maintenir sur son trône, il y aura un bain de sang. Les Togolais de l’opposition sont prêts en ce cas à attaquer les symboles de la France dans ce cas. Le sentiment anti-français ne cesse de monter. Bravo Chirac !

François-Xavier Verschave

[1Fils du premier président élu du Togo, assassiné en 1963 par Étienne Gnassingbé Eyadéma.

#GénocideDesTutsis 30 ans déjà
Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 136 - Mai 2005
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