Survie

Rwanda : ’Mugesera : le protégé du Canada’

(mis en ligne le 1er septembre 2005) - Alain Deneault

Le gouvernement du Canada a contourné le jugement d’extradition vers son pays d’origine du Professeur rwandais Léon Mugesera, prononcé le 27 juillet dernier par la Cour suprême du Canada, en évoquant les risques de peine capitale que celui-ci encourrait s’il retournait chez lui.

On connaît Léon Mugesera pour le discours d’incitation à la haine raciale qu’il a tenu le 22 novembre 1992 au Rwanda. Il était à l’époque membre des cercles influents du Président Juvénal Habyarimana. Sa stratégie rhétorique a consisté à prêter des desseins génocidaires aux forces militaires du camp opposé pour justifier l’assaut hutu à venir, à préconiser l’« extermination » des Tutsi (désignés pour l’occasion comme « cafards » - inyenzi -) et à présenter tout Hutu sympathique aux Tutsi comme « traître ». Dans ce discours éminent prononcé lors d’un meeting du MRND tenu à la préfecture, il avait aussi reproché à la justice son approche pas suffisamment völkich (populiste), en incitant les siens à ne se réclamer que d’eux-mêmes. Malgré le rôle stratégique de Mugesera dans le parti génocidaire hutu, tout indique que le Canada cherche activement à neutraliser la décision d’extradition de sa plus haute cour, comme tout processus judiciaire en général, puisqu’il refuse également de juger l’intéressé sur la base de sa propre loi.

Ottawa fait toutefois preuve d’un zèle suspect. Le ministre canadien de la Justice, Irwing Cotler, ne se contente pas de constater son impuissance, mais - en incitant Mugesera à « faire appel auprès du ministre de l’Immigration et invoquer des raisons humanitaires pour demeurer au pays [1] » - il donne au professeur rwandais un appui public et les conseils juridiques afférents qui lui permettront de passer outre le jugement de la plus haute instance juridique de l’État. La sensibilité « humanitaire » du gouvernement canadien ne porte que sur son protégé.

Fait troublant, le ministre se trouve donc à parler d’une seule voix avec l’avocat de Léon Mugesera, Me Guy Bertrand. Celui-ci a recouru à fort mauvais escient au lexique propre aux situations génocidaires ; le Canada, selon lui, ne fait qu’appliquer la loi en se gardant de « déporter » Mugesera. La Cour suprême lui a reproché par ailleurs, lui qui n’en est pas à un paradoxe près, ses dérapages verbaux à teneur antisémite [2].

De façon générale, la position partiale du gouvernement canadien pour minimiser l’importance de la présence de Mugesera sur son sol - et pour relativiser de ce fait l’importance historique de ce génocide lui-même, donc la gravité de sa propre passivité à l’époque - rappelle les méthodes négationnistes que la France a appliquées chez elle pour nier sa complicité dans le génocide des Tutsi. Cette stratégie rhétorique consiste à diaboliser autant que possible le gouvernement du Front patriotique rwandais (FPR) aux seules fins de passer outre les responsabilités historiques des architectes Hutu du génocide de 1994. De même, le Canada n’a pas jugé bon faire preuve des égards diplomatiques élémentaires envers l’actuel gouvernement rwandais en l’avisant formellement de sa décision. L’ambassadeur du Rwanda à Ottawa a affirmé avoir pris connaissance de la réaction canadienne par la presse, ce qu’aucune instance gouvernementale canadienne n’a cherché à démentir [3]. Cette recette est éprouvée depuis dix ans autant par les acteurs du génocide eux-mêmes que par les réseaux « françafricains ».

À la Commission des droits de l’Homme de Genève, le Canada se montre également particulièrement scrupuleux au regard de ce gouvernement, entretenant là des soupçons qui se font soudainement moins pressants lorsqu’il s’agit d’analyser les cas tchétchène ou palestinien.

Tout se passe comme si le Canada avait quelque chose à cacher. Le quotidien belge Le Soir évoque par exemple la présence au Canada « de nombreux Hutus soupçonnés d’avoir joué un rôle dans le génocide » [23/05/2001], en citant une source rwandaise. Mais les associations rwandaises de Montréal disent avoir elles-mêmes de la difficulté à analyser les composantes de l’immigration rwandaise au Canada.

Alain Deneault

[1La Presse Canadienne, 08/07, Mugesera ne sera pas extradé s’il est passible de la peine de mort.

[2Québec, Le Soleil, 29/06, p. A13, Vincent Brousseau-Pouliot, Affaire Mugesera : La Cour suprême blâme sévèrement Guy Bertrand.

[3Québec, Le Soleil, 15/07, Affaire Mugesera : Le Rwanda ne comprend pas, Alain Bouchard.

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Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 139 - Septembre 2005
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