Survie

Darfour : Centre de Nouvelles ONU, 11/10/05 [www.un.org] :

(mis en ligne le 1er novembre 2005) - Survie

« Nous ne sommes toujours pas à l’abri d’un génocide au Darfour », affirme Juan Mendez.

Le Conseiller spécial pour la prévention des génocides a rendu compte hier, à la presse, de sa dernière visite au Darfour où il a constaté que la situation s’était gravement détériorée et que les populations n’étaient toujours pas à l’abri d’un génocide ou « d’un deuxième génocide », alors que certains membres du Conseil de sécurité ont refusé de l’écouter.

S’exprimant d’abord sur la question de la protection des civils, Juan Mendez, Conseiller spécial du Haut commissariat aux droits de l’Homme pour la prévention des génocides, a souhaité rappeler hier, lors d’une conférence de presse donnée à New York, « deux épisodes sans précédent dans la région », « deux attaques intervenues dans des camps de personnes déplacées, l’une au Darfour Ouest, l’autre au Darfour Nord », causant la mort d’une trentaine de civils dans les deux cas.

« Dans le premier cas, les assaillants sont entrés dans les camps à cheval. Dans l’autre, ils sont arrivés avec des camions appartenant à l’armée soudanaise », a précisé Juan Mendez.

« Jusqu’à maintenant, la situation dans ces camps était dangereuse, les femmes étaient violées si elles en sortaient, il y avait beaucoup d’abus à l’intérieur, mais il n’y avait eu aucune attaque massive contre des civils », a-t-il insisté.
« Il y a une escalade de la violence contre les civils », a-t-il constaté à l’issue d’une visite de cinq jours sur le terrain.

« Sur le plan de l’assistance humanitaire [...], beaucoup de progrès ont été réalisés depuis un an. Mais, a-t-il nuancé, il a été très difficile pour les organisations non gouvernementales d’apporter de l’aide aux populations. » « On a compté 12 attaques contre le personnel humanitaire au cours des deux derniers mois »

Face à l’impunité qui continue de prévaloir au Darfour, Juan Mendez a tenu à rappeler que pour tous les États, « la coopération avec la Cour pénale internationale (CPI) n’était plus une question de choix ».

Depuis que le Conseil de sécurité a renvoyé l’affaire à la CPI, chaque État a l’obligation de coopérer avec la Cour, a-t-il rappelé.

Le Conseil de sécurité avait en effet voté, le 31 mars dernier, la résolution 1593 qui saisit la CPI des crimes contre l’humanité commis au Darfour.
« Le gouvernement du Soudan, qui fait comme s’il n’avait pas besoin de la CPI, a mis en place ses propres tribunaux. Nous observons les premiers jugements, rendus par la cour spéciale que le gouvernement soudanais a créée, et nous sommes très déçus par le fait que cette cour traite d’affaires complètement secondaires, qui n’ont rien à voir avec ce qui s’est passé pendant le pic du conflit en 2003-2004 », a rapporté le Conseiller.
Concernant le processus de paix, Juan Mendez a regretté que les représentants de toutes les communautés ne soient pas présents lors des pourparlers, qui ont repris à Abuja le 15 septembre dernier, et qu’il n’y ait pas de distinction faite entre ceux qui ont perpétré les atrocités et les autres.
Répondant à une question sur le refus de plusieurs membres du Conseil de sécurité - États-Unis, Russie, Chine et Algérie - d’entendre le compte rendu de sa visite, le Conseiller a déclaré qu’il était rentré de sa mission avec un message urgent, qu’il avait remis un rapport au Secrétaire général, qu’il lui avait dit qu’il souhaitait exposer la situation au Conseil de sécurité, et que le Secrétaire général avait soumis sa demande aux membres du Conseil.
Juan Mendez a expliqué que les recommandations de son rapport étaient dans la même ligne que celles qu’il avait faites au Secrétaire général un an plus tôt, à l’issue de sa première visite au Darfour.
Dans son rapport, le Conseiller recommande notamment de renforcer la présence de l’Union africaine (UA) sur le terrain en lui donnant véritablement les moyens d’agir, à savoir les hommes, le matériel et l’argent nécessaire pour opérer sur le terrain.
Il faut aussi lui donner un mandat plus précis, mieux définir où doivent se poster les hommes de l’UA qui sont censés protéger les civils du Darfour. « Le mandat n’est pour l’instant pas assez précis », a-t-il regretté.
« Nous demandons à l’UA de mener une tâche qui est impossible à remplir si nous ne l’aidons pas plus », a-t-il encore dit.
Il faut aussi renforcer la pression sur le gouvernement du Soudan pour qu’il cesse de restreindre la liberté de mouvement des troupes de l’UA.Il en va donc, selon Juan Mendez, de la responsabilité du gouvernement du Soudan, mais aussi de la Communauté internationale.
À un journaliste qui lui demandait pourquoi il avait émis des recommandations similaires alors que la situation s’était détériorée depuis lors, ce qui montrait que les recommandations n’étaient pas forcément les bonnes, le Conseiller a rappelé que grâce à certaines des recommandations déjà mises en œuvre, des développements favorables étaient intervenus au cours de l’année. Il a aussi dit que la majorité des recommandations n’avaient pas été appliquées et que c’est pourquoi les choses n’avaient pas fonctionné comme souhaité. En septembre 2004, Juan Mendez avait en effet rendu compte au Conseil de la situation, après avoir effectué une visite avec Louise Arbour, Haut Commissaire aux droits de l’Homme, et émis un certain nombre de recommandations pour éviter que le situation ne se détériore.
« À l’heure actuelle, nous ne sommes pas près d’empêcher un génocide ou d’empêcher qu’il ne se reproduise de nouveau, selon le point de vue que l’on adopte », a déclaré Juan Mendez, faisant référence au fait que pour certains - le gouvernement américain notamment -, il y a eu génocide au Darfour, et que pour d’autres, les preuves d’un génocide ne sont pas rassemblées.
« Nous pourrions, non pas arriver à une situation similaire à celle du Rwanda, mais retourner à la situation qui prévalait au Darfour en 2003-2204, ce qui est suffisamment grave », a-t-il encore affirmé.
Concernant le Darfour, le Secrétaire général avait demandé à la Commission d’enquête internationale sur les violations des droits de l’Homme perpétrées au Soudan de déterminer s’il y avait eu génocide au Darfour. Après avoir mené une enquête minutieuse, la Commission avait conclu à de graves violations des droits de l’homme mais elle n’a pas pu déterminer l’intention de détruire tout ou partie d’une communauté définie par sa race ou religion. Elle a renvoyé cette question à la CPI, a-t-il précisé.
Le rapport de la Commission d’enquête, publié le 28 février dernier, avait confirmé que le gouvernement soudanais et les milices Jenjawids avaient commis des crimes contre l’humanité.
Juan Mendez a terminé son intervention en indiquant que les milices Jenjawids n’avaient toujours pas été désarmées comme le Conseil de sécurité l’avait demandé pendant des mois et des mois. « Il n’y a même pas de plan adopté pour désarmer les Jenjawids. D’ailleurs, plus personne ne parle des Jenjawids », a-t-il rappelé.
« Je suis convaincu que ces milices sont très organisées, liées avec le gouvernement du Soudan, et qu’elles sont toujours opérationnelles. Si elles n’opèrent pas de manière aussi cruelle qu’elles le faisaient en 2003-2004, c’est justement parce que certaines des mesures recommandées ont été appliquées », a-t-il conclu.

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Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 141 - Novembre 2005
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