Survie

L’anti-France

rédigé le 1er janvier 2006 (mis en ligne le 1er janvier 2006) - Odile Tobner

La notion d’anti-France est née avec l’affaire Dreyfus. Elle a été forgée pour stigmatiser ceux qui osèrent dénoncer une injustice d’État. Ce ne pouvait être qu’une manipulation de l’étranger. C’est ce scénario, qu’on croyait définitivement déconsidéré après les péripéties de l’« affaire », que bâtit Pierre Péan à travers plus de 500 pages qui ciblent Juifs, protestants, journalistes, chercheurs, associations de défense des droits de l’Homme (dont la nôtre) dans un déraillement haineux [1]. François-Xavier Verschave y est particulièrement visé. Vouées à la même déroute que les propos incendiaires de Drummont, les vociférations de l’auteur trahissent sa détestation d’un homme à l’intelligence et au désintéressement exceptionnels.

Il ne trouve rien de mieux pour appuyer son dénigrement de François-Xavier Verschave que de citer les défenseurs des dictateurs Bongo, Sassou et Déby. On sait que ces dictateurs perdirent, en première instance et en appel, le procès qu’ils avaient intenté à l’auteur de Noir silence. L’avancée du droit français à l’issue de ce procès fut de faire tomber en désuétude le « délit » d’ « offense à chef d’État » (loi du 28 juillet 1881), qui est contraire au droit fondamental à la liberté d’expression. « Parler et offenser, pour de certaines gens, est précisément la même chose », constatait déjà La Bruyère. Péan est de ce nombre. Il affirme que « la cour d’appel a reconnu que les trois présidents africains avaient été offensés ». Tout ce qu’on peut dire de vrai sur ces gens-là est en effet offensant. Il fut enfin dit. Et la cour en a pris acte.

Alors que François-Xavier Verschave a écrit de Paul Kagame, entre autres jugements sévères : « Ce régime a commis des crimes graves, qui sont dénoncés par des organisations et observateurs impartiaux, il gère de manière agressive l’après-génocide » [2], Péan prétend mensongèrement que François-Xavier Verschave voit en Kagame « un héros de l’Afrique nouvelle », sans pouvoir citer une seule phrase à l’appui de cette allégation. Le crime de François-Xavier Verschave est d’avoir cherché à élucider les responsabilités de l’État français avant, pendant et après un génocide qui a bien eu lieu, organisé par un régime qui a bénéficié de l’amitié, de l’aide et du soutien politique et militaire français.

L’amalgame et le confusionnisme sont les moindres défauts d’une littérature de fiche de police dans ses allégations outrageantes. Nous ne relèverons que l’une des plus abjectes, parce qu’elle est de nature à donner une idée de la crédibilité de quelqu’un qui ose dire de François-Xavier Verschave : « Son sentiment de supériorité sur les “nègres” était si fort qu’il le hantait. Pour exorciser ses démons, il crachait, vitupérait, vomissait des insanités sur son pays et sur les dirigeants africains proches de la France. » Cette présentation, habillée des affabulations de Péan, de la dénonciation de la politique africaine de la France et de ses « amis » africains, ferait rire si elle ne visait un mort, dont nous regrettons amèrement le style et l’élégance. Le livre de Péan aligne des kilomètres de cet acabit mais ne cite pas vingt lignes de celui dont il prétend dénoncer les idées.

Autant dire que ce que Péan pourfend c’est lui-même, à l’aune de ses obsessions et de ses phobies : obsession d’une France si définitivement identifiée à ses pires errements qu’en parler serait la détruire, phobie de l’homme noir identifié à ses représentants les plus grotesques, qu’il serait raciste de critiquer. Il y a des folliculaires qui ne restent dans l’histoire que pour s’être attaqué à plus grand qu’eux. Le crachat sur François-Xavier Verschave vaut finalement tout un panégyrique. Certaines haines sont des décorations. Avec le lieutenant-colonel Picquart, Clémenceau et Zola nous sommes en bonne compagnie pour représenter l’anti-France, dont la France de demain s’enorgueillira.

Odile Tobner

[1Nous reviendrons sur le pire que contient ce livre : la négation d’un fait historique et du groupe humain qui en a été victime.

[2Négrophobie, p.104.

#GénocideDesTutsis 30 ans déjà
Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 143 - Janvier 2006
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