Survie

Cameroun : Salves - Les États-Unis poussent Biya à faire le ménage

rédigé le 1er mars 2006 (mis en ligne le 1er mars 2006) - Odile Tobner

« Les actes de corruption sont devenus si communs et si banals que certains observateurs se demandent si le sens du mot “corruption” a une connotation différente au Cameroun ». C’est sur la base de ce constat que Niels Marquardt, l’ambassadeur des États-Unis au Cameroun, a dit sa « grande tristesse » de voir se développer une véritable « culture de la corruption » au Cameroun. Ce diagnostic a été fait le 19 janvier au cours d’une conférence de presse organisée dans les locaux de la Maison de la communication, à Yaoundé.

Cette sortie médiatique de Niels Marquardt est survenue 48 heures après le lancement d’une campagne nationale de sensibilisation sur ce fléau qui mine tous les secteurs d’activités au Cameroun, et 8 ans après le lancement d’une opération similaire, mais infructueuse, au lendemain du placement du Cameroun sur la plus haute marche du podium des pays les plus corrompus du monde (classement de l’ONG Transparency international).

Des antécédents qui ne sont certainement pas étrangers à cette précision de l’ambassadeur des USA au Cameroun : « Ce n’est pas assez de publier les noms des personnes suspectées de corruption, ou de les relever de leurs fonctions. Les personnes accusées de corruption doivent être officiellement inculpées, poursuivies et condamnées si leur culpabilité est établie. Dans le même temps, leurs biens mal acquis doivent être confisqués et retournés au Trésor public. » Des mesures qui, si elles sont effectivement appliquées, doivent s’étendre à tous, sans exception. Car, a rappelé Niels Marquardt, « l’autre aspect de la démocratie est que personne n’est au dessus de la loi ».

Au demeurant, l’ambassadeur des USA a trouvé que le Cameroun devait pouvoir relever ce défi, puisque ce pays, a-t-il déclaré, dispose des « mécanismes nécessaires pour assurer cette protection des biens publics ». À titre d’exemple, Niels Marquardt a lu devant l’assistance l’article 66 de la Constitution camerounaise, qui oblige les hauts responsables de la République à déclarer leurs biens et avoirs au début et à la fin de leur fonction ou de leur mandat, un «  texte court et efficace » Mais qui n’a jamais été appliqué, 10 ans après l’entrée en vigueur de ce texte.

Cette déclaration publique de l’ambassadeur des USA a été relayée, début février, par des propos similaires tenus par l’ambassadeur des Pays-Bas. Paul Biya ne pouvait plus reculer. Le mardi 14 février trois arrestations ont eu lieu : Emmanuel-Gérard Ondo Ndong, Gilles-Roger Belinga, Joseph Edou, respectivement ex-Présidents du FEICOM (Fond de financement des communes), de la SIC (Société immobilière du Cameroun), et du CFC (Crédit foncier du Cameroun). Le samedi suivant, après avoir été démis de ses fonctions, le ministre de l’eau et de l’énergie, ex-PDG du port autonome de Douala, dont l’exploitation est affermée à Bolloré, Alphonse Siyam Siwe, a été également arrêté. Deux autres noms sont cités : Gervais Mendo Zé, ex-directeur de la CRTV (radio-TV nationale), qui a été entendu mais laissé en liberté et surtout Polycarpe Abah Abah, le flamboyant ministre des Finances, ex-directeur des impôts, à qui les déplacements à l’étranger sont interdits. Cette opération mains propres, dénommée épervier par les Camerounais, se fait à la satisfaction unanime du public. Il y a seulement ceux qui se confondent en louanges à l’égard du chef de l’État, et ceux qui murmurent que ce n’est qu’un petit début et qu’on devrait lui demander aussi des comptes sur ses biens. Quant à l’ambassadeur US, il a dit qu’il le soutenait - comprendre qu’il lui met l’épée dans les reins - dans cette grande lessive. On espère donc que les États-Unis et les États européens, particulièrement la France, qu’on n’a guère entendue, pousseront leur zèle jusqu’à bloquer les comptes à l’étrangers alimentés par la corruption et collaboreront au retour au Cameroun des sommes détournées, qu’ils ont hébergées avec profit jusqu’à présent avec la plus grande complaisance.

Odile Tobner

#GénocideDesTutsis 30 ans déjà
Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 145 - Mars 2006
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