Survie

Processus de paix en Côte d’Ivoire : Ombres et lumières

rédigé le 1er mars 2006 (mis en ligne le 1er mars 2006) - Sissulu Mandjou Sory

Les détracteurs (il en existe encore, même si leur nombre décroît à vue d’œil) et les supporters de l’actuel Premier ministre Konan Banny sont au moins d’accord sur une chose : le pays joue cette fois-ci sa dernière carte pour une sortie de crise la moins coûteuse possible (en vies humaines, en temps, en argent, etc.). Si cette occasion venait à échouer, on voit mal quel homme ou quelle femme dans ce pays pourra susciter un brin de consensus pour réconcilier les protagonistes et enclencher un processus irréversible afin de mettre fin à la souffrance des Ivoiriens.

Non pas que Konan Banny soit vu comme le messie, comme l’homme providentiel ou comme l’homme qui sait se placer au dessus de la mêlée. Ce genre de personnage modèle dont on ébauche le profil dans les recommandations onusiennes de sortie de crise n’existe pas en Côte d’Ivoire, il n’existe d’ailleurs nul part au monde. C’est bien connu, l’actuel premier ministre ivoirien, avant de se préoccuper de savoir s’il allait convenir à ses compatriotes est d’abord passé et repassé par le tri sélectif de la France, de l’ONU et accessoirement de l’UA. C’est un financier à qui toutes les portes sont ouvertes au FMI et à la Banque Mondiale pour ses remarquables services rendus à la tête de la BCEAO. Cet examen de passage qui lui donne le blanc seing de la “Communauté internationale” peut constituer pour Banny un boulet aux pieds. Mais ce mode de sélection peut être au contraire une caution et une garantie qui lui donnent le poids politique et économique requis pour gérer l’équation actuelle qui est posée à son pays : ramener la confiance entre les ivoiriens de tous les bords à travers un mécanisme fiable et transparent de réhabilitation de l’intégrité territoriale et de (re)définition d’un nouveau pacte social républicain (une claire identification des citoyens et un choix démocratique du futur Chef de l’État).
Après un début tumultueux, Konan Banny semble avoir pris le bon cap comme le confirme la tenue du fameux sommet inter-ivoirien de Yamoussokro qui a réuni pour la première fois depuis septembre 2002 en terre ivoirienne les principaux leaders du pays.

Mais il est évident que la sortie de crise ne dépendra pas que des seules qualités du Premier Ministre ivoirien.
D’où peuvent venir les obstacles ?

Pas du peuple ivoirien ! Des informations concordantes, souvent relayées dans les propos des acteurs politiques font état d’une volonté largement majoritaire au sein des populations ivoiriennes de toutes les régions de voir s’instaurer au plus vite la paix. La fameuse rengaine désormais populaire « On est fatigué ! Gbagbo, Bédié, Ado, Soro, réconciliez-vous ! » en dit long sur l’état d’esprit général.

Les sources de blocage et d’inquiétude sont plutôt à chercher du côté de la classe politique, notamment au niveau des jusqu’auboutistes des deux camps. Si personne ne peut nier aujourd’hui à Gbagbo sa volonté affichée (en actes et en paroles) pour un retour rapide à la paix, son régime et surtout son parti le FPI grouille de va-t-guerre de tous poils qui continuent à entretenir un climat de violence à travers les médias et les bandes militarisées sur le campus et certains quartiers d’Abidjan et à l’Ouest du pays.

La question qui se pose c’est de savoir si Gbagbo saura imposer la paix à son clan qui ne brille pas par son unité et la cohérence et la cohésion politiques de ses responsables. Les actes et les propos de Mamadou Koulibaly, de Affi Nguessan, de Simone Gbagbo, de Philippe Mangou, de Blé Goudé et consorts sont-ils toujours concertés avec le chef de l’État ?

Du côté des Forces nouvelles (FN), on voit mal la frontière entre les brigades de police et de gendarmerie récemment créées dans leurs zones et leurs propres détachements qui sont appelés à déposer les armes. Aussi bien au niveau des milices du pouvoir que du côté des FN, il y a un risque grandissant de faire de la surenchère à l’approche du démarrage imminent du désarmement. Par exemple, nul observateur ne peut aujourd’hui clairement dire si les FANCI à l’heure de la démobilisation/désarmement de ses troupes va comptabiliser ou pas toutes ses nombreuses “recrues de la promotion Blé Goudé” ? Nul ne sait non plus quel nombre exact de combattants vont déclarer les FN. Ce sont autant de zones d’ombres qui pourront obscurcir pendant longtemps l’horizon de la paix en Côte d’Ivoire.
Face à ces dérapages prévisibles, l’ONU ne semble pas un rempart sûr. Elle ne fait peur à personne avec ses sanctions “coups d’épée dans l’eau”.

D’autres raisons de s’inquiéter existent. Avec le départ annoncé (mais non encore officiellement confirmé) de Monteiro “le monsieur élections de l’ONU” en Côte d’Ivoire, avec la récente prise en mains du dossier ivoirien par Sassou Nguesso (un dictateur sanguinaire notoire), de lourds nuages s’amoncellent dans le ciel ivoirien. Dans un autre registre, il faut noter que les récentes tensions intervenues entre certains militaires des FANCI et les forces Licorne (à l’Ouest du pays et lors de la première journée avortée du sommet inter-ivoirien de Yamoussokro) ne présagent rien de bon.

Heureusement que de cette large couche parsemée de zones d’ombres, émergent des lueurs d’espoir. La principale bonne raison d’espérer, nous l’avons dit plus haut, c’est cette soif massive de paix qui traverse tout le pays à ses quatre points cardinaux. Mais ayant sans doute compris que ce vœu de paix, aussi populaire soit-il, ne suffira pas à lui seul pour sortir du tunnel. On assiste à une lente mais irréversible montée en puissance de nombreuses voix indépendantes de la société civile ivoirienne déterminées à apporter leur pierre pour bâtir le nouveau pacte social en gestation. Soyons à leur écoute pour leur prêter main forte, en cas de besoin.

Sisulu Mandjou Sory

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Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 145 - Mars 2006
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