Survie

Cameroun : ’Du courage’

rédigé le 1er avril 2006 (mis en ligne le 1er avril 2006)

Á Yaoundé, au Cameroun, on vient de donner, en grande pompe, le nom de Rosa Parks à une rue qui, dans le quartier le plus luxueux de la ville, sépare la nouvelle ambassade américaine, impressionnante forteresse, centre nerveux chargé de surveiller l’Afrique centrale, qui a coûté un prix astronomique, de la résidence que se fait construire le Président Biya, avec les milliards de Cfa dont il n’a jamais rendu compte.

Il y a une scandaleuse indécence à voir ainsi profané, en l’associant à l’étalage de la puissance du béton et du dollar, le nom de cette humble ouvrière couturière qui, le 1er décembre 1955, usant de sa liberté d’une manière inimaginable, et qui lui coûta arrestation, persécution et exil loin de sa ville natale, refusa de céder la place où elle était assise, dans un bus de Montgomery (Alabama), à un Blanc. Dans l’article qu’il lui consacre dans le Dictionnaire de la négritude Mongo Beti écrit : « On a souvent écrit et dit, à tort, que, épuisée par sa journée de travail, Rosa Parks n’avait pas hésité à occuper un siège dans la partie avant réservée aux voyageurs blancs. Dans son livre Combats pour la liberté, M.L. King explique lui-même qu’en réalité Mme Rosa Parks était bien assise sur la première rangée du secteur réservé aux Noirs ; mais l’usage voulait, lorsqu’un afflux de voyageurs blancs excédait les cinq rangées qui leur étaient réservées, que ceux-ci débordent sur les sièges des Noirs, qui, à leur tour allaient s’entasser vers l’arrière, au risque de voyager debout. ». Faisant foin des contraintes de la réalité cette toute petite femme pauvre est à l’origine du mouvement qui a obligé le gouvernement des États-Unis, après bien des convulsions encore, à abolir la ségrégation.

Dans quelques années, quand ils seront vides parce que les Africains, ayant choisi de haute lutte leurs gouvernants sur la capacité de ces derniers à défendre les ressources de leurs pays contre les prédateurs, vivront dignement sur leurs terres, venant de temps en temps faire du tourisme en France, appâtés par la publicité, on pourrait donner le nom de Rosa Parks à l’un de ces centres de rétention qu’on visitera comme témoignage de la barbarie d’une époque révolue. Aujourd’hui on ne devrait donner le nom de Rosa Parks qu’à des établissements d’enseignement, parce que son exemple est l’enseignement par excellence, celui du courage.

Il faudra en effet beaucoup de courage à la jeunesse africaine pour triompher de l’oppression où elle est maintenue. Après bien d’autres dictateurs, appuyés sur une oligarchie pillarde, Idriss Déby s’apprête à conserver par la force le pouvoir à la tête du Tchad. En face des abus les plus criants dans le processus électoral, les partis tchadiens ont décidé de le boycotter pour ne pas le cautionner. Au Gabon, Omar Bongo poursuit avec violence ceux des opposants qu’il n’a pas pu corrompre. Au Soudan les exactions et les massacres par les milices du pouvoir jettent sur le chemin de l’exode des milliers de paysans démunis. Si le Tchad, le Gabon et le Soudan étaient le Belarus, la Colombie ou le Tibet, tous nos médias nous informeraient, jour après jour, de la moindre péripétie concernant les élections, les manifestations ou les répressions qui s’y déroulent. Mais on constate que, plus que jamais, le silence règne sur les événements africains. Les droits des Noirs sont bafoués, sur leur propre terre, par des pouvoirs arrogants et cyniques, sûrs de la protection ou de l’indifférence complice des grandes puissances.

Ce qu’on voit le plus clairement chez les puissants c’est la lâcheté. Avec les moyens dont ils disposent, ils pourraient facilement protéger et sauver des millions de gens, mais, après avoir semé la discorde par stupidité, ils regardent passivement les incendies qu’ils ont allumés anéantir des peuples entiers. En ce douzième anniversaire du génocide au Rwanda, il faut rappeler combien il était évitable, si les gens qui avaient les moyens d’agir avaient eu un minimum de courage. L’histoire montre que ce sont les actes de courage des humbles, isolés, souvent dérisoires mais exemplaires, qui ont fini par soulever l’énorme poids des monstres froids, immobiles, enflés de tout ce qu’ils engloutissent des biens communs.

Odile Tobner

#GénocideDesTutsis 30 ans déjà
Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 146 - Avril 2006
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