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A fleur de presse

Cameroun : A fleur de presse - Juin 2006 - Françafrique

(mis en ligne le 1er juin 2006)

Le Messager, Contrat Désendettement Développement : une entourloupe bien française, Léopold Chendjou le 08/05 : « Les entreprises françaises risquent fort de rafler tous les marchés d’infrastructures nés de l’annulation de la dette du Cameroun vis-à-vis de la France. Une organisation non gouvernementale s’en inquiète en ces termes : “Le C2D [Contrat de Désengagement et de Développement, voir sur le site du Ministère des Affaires étrangères dans la rubrique « Dette et lutte contre la pauvreté »] produira exactement les mêmes conséquences, si jamais tout est abandonné aux entreprises étrangères. Des travaux de 300 milliards pourraient être facturés 900 milliards, la différence ayant été expatriée, virée dans les comptes privés, cachés on ne sait où. L’enjeu est on ne peut plus clair”, Jean-Claude Shanda Tonme interpelle ainsi le Premier ministre, chef du gouvernement, dans une correspondance datée du 6 mai. Le président de la Commission Indépendante contre la Discrimination et la Corruption (CICDC) réagit ainsi après l’adoption vendredi 5 mai à Yaoundé d’un projet dénommé Règlement particulier des appels d’offres (RPAO). [...] Ce règlement, selon la CICDC, consacre de nouvelles règles applicables aux appels d’offres pour ce qui est du C2D, le contrat désendettement développement de la France. Selon l’Agence Française de Développement (AFD), pour prétendre aux marchés C2D, toute entreprise soumissionnaire devrait rassurer le maître d’ouvrage sur sa capacité à respecter ses engagements en produisant des garanties sur ses moyens financiers humains et matériels. Cela, en produisant des cautions, une attestation de solvabilité, des bilans et des rapports de commissaires aux comptes sur la situation financière des cinq dernières années, en proposant un personnel d’encadrement justifiant pour la plupart de dix ans d’expérience, en possédant en propre au moins 75 % du matériel lourd nécessaire. Pour la CICDC, ces conditionnalités éliminent de fait toutes les entreprises camerounaises. Mieux, ce règlement particulier est une violation flagrante des lois de la République, notamment les dispositions légales sur le régime d’octroi des marchés publics au Cameroun. Conséquence de cette "forme pernicieuse d’exclusion et de discrimination", les 700 milliards de Fcfa de retombées du contrat désendettement développement risquent fort de retourner en France par des pratiques obscures de corruption et de surfacturation. "Les études faites sur les financements passés des infrastructures, qui constituent aujourd’hui le gros de la dette censée être annulée, prouvent que notre pays a payé trop cher, souvent le triple du coût réel des travaux réalisés", rappelle Jean Claude Shanda Tonme, le président de cette commission, qui s’interroge aussi : "s’il faut encore payer des salaires mensuels de 20 millions de Fcfa à des ingénieurs expatriés, alors que des Camerounais aux compétences équivalentes toucheraient le dixième ? ". Par un rapide calcul, la CICDC observe qu’en se fondant sur la dette totale du Cameroun qui est d’environ 5.000 milliards de Fcfa, l’on s’aperçoit que l’essentiel, soit près de 3.500 milliards, a été généré par les grands travaux d’infrastructures réalisés par des entreprises étrangères dans des conditions de manipulation et d’ententes illicites. Fort de tout cela, la commission interpelle le premier ministre, Inoni Ephraim, pour que les entreprises camerounaises spécialisées dans les BTP ne soient pas les grands perdants des retombées de l’annulation de la dette camerounaise vis-à-vis de la France. Sera-t-elle entendue ? On attend de voir. »

Cet article illustre de façon éclairante le processus qui a conduit à la clochardisation les populations africaines. Les fonds de la remise de dette vont être utilisés de la même façon que ceux qui ont constitué la dette, avec les mêmes effets nuisibles. Les financements iront à des projets décidés et réalisés par les grands groupes étrangers, en complicité avec le pouvoir camerounais, qui touchera certainement au passage le pourboire habituel. Comme, théoriquement, on commence à exiger une certaine transparence, ce sont des artifices réglementaires qui élimineront les entreprises camerounaises, nouvelle forme prise par l’arbitraire. Le résultat est qu’on ne touche pas au système. Tout le profit de la remise de la dette ira d’une part aux groupes étrangers qui s’attribueront les marchés de chantiers élaborés pour eux et par eux, c’est-à-dire destinés à faciliter l’exploitation et le transport des matières premières, d’autre part à l’oligarchie corrompue qui monopolise l’appareil d’État. Les résultats de cette politique se lisent dans le délabrement social croissant, avec des indicateurs de développement humain en baisse. Mais qui s’en soucie ? On surmédiatise les proclamations sur des remises de dettes et sur des taux de croissance, quitte à s’étonner hypocritement ensuite que les Africains s’enfoncent, malgré tout, dans la misère.

Odile Tobner

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Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 148 - Juin 2006
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