Survie

ILS ONT DIT : Medias : Agence française de développement

(mis en ligne le 1er septembre 2006) - Arnaud Labrousse

« Je vous écris pour vous signaler la participation de l’Agence française de développement (AFD) aux frais de tournage d’un récent sujet de Soir 3 sur l’action de l’AFD en Afrique du Sud. Ceci constitue à mon avis un manquement grave aux principes de l’honnêteté et de l’indépendance de l’information dont il est de votre ressort de contrôler l’application.

À ma demande de clarification de ce que signifiait la mention : « avec la participation de l’AFD » parue en incrustation en fin d’un sujet diffusé le 10 juillet 2006, la médiatrice des rédactions de France 3 répond dans son email du 17 juillet que « l’AFD a pris en charge le voyage d’un membre de l’équipe de reportage ». Dans un deuxième email elle précise que cette prise en charge, qui entrerait « dans le cadre de [la] politique de communication » de l’AFD, n’aurait pas pour autant « débouché sur un quelconque engagement » de la part de la rédaction de Soir 3.

Ce cas de publireportage est d’autant plus scandaleux, me semble-t-il, que depuis de très nombreuses années l’AFD est régulièrement critiquée par des écologistes et altermondialistes pour ses investissements désastreux dans l’exploitation forestière en Afrique, sans qu’aucun média audiovisuel français n’en ait, sauf erreur, jamais parlé.

Je souhaite que le CSA obtienne et mette à la disposition du public de plus amples clarifications sur la production du sujet sponsorisé du 10 juillet. Notamment,

  1. Quel était le montant exact de l’investissement de l’AFD dans ce sujet ?
  1. La chaîne l’a-t-elle sollicité ou bien l’AFD l’a-t-elle proposé ?
  1. L’AFD s’est-elle associée à la conception ou à l’écriture du sujet ?
  1. Quels autres sujets diffusés par des chaînes de télévision ou des radios françaises l’AFD a-t-elle financé, intégralement ou partiellement, dans le cadre de sa « politique de communication » ?

En permettant qu’un organisme public l’utilise pour faire son show, Soir 3 a failli également à son devoir d’objectivité dans la “couverture” qu’il a consacré au partenaire privé de l’AFD dont il est question dans ce sujet. Il est intéressant de comparer les propos de la responsable de la Rand Merchant Bank qui a été interviewée avec ceux d’un autre responsable de la même banque, cités dans le nouveau rapport de l’ONG britannique Global Witness intitulé Une corruption profonde : Fraude, abus et exploitation dans les mines de cuivre et de cobalt du Katanga. Marlene Hesketh, sur Soir 3 : « Pour la liberté et la démocratie en Afrique du Sud nous croyons qu’il est nécessaire de commencer à partager des richesses » ; Gerhard Kemp, dans le rapport de Global Witness : « Les richesses minérales du Congo sont tellement importantes qu’il est impossible de les ignorer. On ne veut pas être les derniers à en profiter. » [1]

Quant au raccrochage du publireportage au sujet qui le précède, sur l’immigration clandestine en Europe, cette juxtaposition n’a bien entendu aucun sens, même selon la logique que veut faire passer l’AFD. L’Afrique du Sud n’est guère un pays-clé de « l’exode massif » déploré par Marie Drucker.

Le maquillage des intérêts en informations ne surprend pas ceux qui suivent les efforts parfois effrénés de la coopération française et de l’administration Bush pour bien vendre un « Partenariat pour les forêts du Bassin du Congo » à un public en soif de bonnes nouvelles. Il laisse entrevoir assez clairement, je crois, la place qu’elles réservent, dans leur vision commune du « développement durable » en Afrique, à une presse « libre et indépendante. »

Arnaud LABROUSSE, lettre à Dominique BAUDIS, Président du Conseil supérieur de l’audiovisuel, le 19/07.

[1Traduction de Global Witness. « “The Congo is so rich in mineral wealth, you can’t ignore it,” said Gerhard Kemp, head of resource corporate finance at Rand Merchant Bank in Johannesburg. “You don’t want to be the last guy at this party.” » Cité dans Bloomberg, « BHP, Anglo Shun Congo Risks to Expand as copper soars », 07/02/2006 (www.bloomberg.com/apps/ news ?pid=10000081&sid=aa_GmuOoj8Ss). Le projet d’Anvil Mining Ltd. à Dikulushi au Katanga a été financé à hauteur de 4,5 millions de dollars par Rand Merchant Bank International Ltd. (Dublin). (www.anvil.com.au/prj_dikulushi2.shtml). Global Witness fait état des allégations selon lesquelles en octobre 2004 des soldats congolais de la 62ème brigade de la 6ème région militaire ont utilisé des véhicules appartenant à Anvil Mining pour mener une offensive à Kilwa contre le Mouvement révolutionnaire pour la libération du Katanga (MRLK), au cours de laquelle une centaine de civils non armés ont été tués. En plus, « des témoins de l’incident affirment qu’Anvil Mining a donné de la nourriture et de l’argent aux militaires et que les véhicules d’Anvil, conduits par des employés d’Anvil, ont servi à enterrer les dépouilles des victimes. »

#GénocideDesTutsis 30 ans déjà
Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 150 - Septembre 2006
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