Survie

Le PS en campagne... africaine

(mis en ligne le 1er septembre 2006) - Victor Sègre

Après Nicolas Sarkozy, c’est au tour des présidentiables socialistes d’entamer leur campagne africaine. François Hollande, accompagné de Dominique Strauss Kahn et Pierre Moscovici, s’est ainsi rendu en Algérie puis au Maroc début juillet.

« Demain, il se peut que le Parti socialiste ait des responsabilités en France, c’est pour cela qu’il était important de venir avant 2007 » [Libération, 10/07] a expliqué le premier secrétaire du PS à son arrivée à Alger. Il s’agissait de se démarquer publiquement de la droite sur l’appréciation de la colonisation et sur la question des visas. Mais ce n’était sans doute pas le seul objet de l’entretien « particulièrement amical » [AFP, 09/07] de trois heures que Bouteflika a accordé à Hollande. Ce dernier a affirmé avoir fait le déplacement pour « témoigner de cette entreprise de démocratisation en Algérie » [El Watan, 09/07] et a tenu à « remercier le président Bouteflika qui a apporté des réponses utiles à nos interrogations » [La Tribune (Alger), 09/07].

On ignore si ces interrogations concernaient la récente loi d’amnistie (dont la fonction est d’assurer l’impunité de la junte militaire qui a organisé l’instrumentalisation du terrorisme [1]), le projet de révision constitutionnel (qui doit permettre à l’actuel président, « élu » avec 85 % des suffrages, de briguer un 3ème mandat, rallongé pour l’occasion de 5 à 7 ans, et de s’octroyer une immunité à vie [Le Monde, 06/07]), ou encore le dernier rapport d’Amnesty International intitulé « Des pouvoirs illimités. La pratique de la torture par la Sécurité militaire en Algérie. »[ [http://web.amnesty.org/library/index/framde280042006]],->http://web.amnesty.org/library/index/framde280042006]],] qui témoigne de la continuation des pratiques mises en œuvres par le régime à l’occasion de la « sale guerre » et qui confirme le lieu réel du pouvoir. À moins qu’il ne s’agisse de la dernière condamnation de l’Algérie par le comité des droits de l’homme de l’ONU [2]...

À son retour en France, Hollande a également tenu à saluer au Maroc « la démocratisation de la vie politique [...] et le processus de relecture critique de son passé - et de son passif - auquel s’est livré la société sous l’impulsion de son roi. » [3]. Si l’Instance Equité et Réconciliation a effectivement permis de reconnaître une partie des crimes d’État commis sous Hassan II et d’entendre publiquement des victimes, ce qui n’est pas rien, rappelons qu’elle avait, par contre, interdiction de désigner les tortionnaires, dont beaucoup sont encore en poste. La relecture reste donc partielle, et la démocratisation relative, surtout quand on est militant des droits de l’homme, militant syndical ou indépendantiste sahraoui.

Hollande avait été précédé sur le continent par Laurent Fabius, qui s’était rendu sur les traces de Nicolas Sarkozy au Mali puis au Sénégal, espérant un écho médiatique qui est finalement resté modeste. Il a donc publié un mois plus tard une tribune dans laquelle il rend compte des réflexions que ce périple lui a inspiré [Quatre changements pour l’Afrique, in Le Figaro, 22/07]. On y lit notamment : « Nous devons en finir avec « la Françafrique », conception dépassée, marquée souvent par l’arrogance et l’opacité. » Après, en mai dernier au Bénin, une déclaration similaire de Sarkozy, qui a pourtant récupéré les réseaux Pasqua, on nous permettra de nous étonner de cet engouement nouveau pour en finir avec un système pourtant officiellement enterré depuis plusieurs années... Tout s’explique quand Fabius détaille la méthode : « F. Mitterrand, il y a seize ans à la Baule, avait commencé à tracer une voie différente. » Les lecteurs de Billets savent ce qu’il en est... L’ancien premier ministre de Mitterrand aussi.

Autre revirement : Fabius qui déclarait il y a six ans que « c’est grâce au fonds (FMI) et à la Banque [Mondiale] que la pauvreté recule » [Libération, 17/04/2000] dénonce à présent la « mondialisation libérale ». Mais celui qu’Omar Bongo cataloguait parmi ses amis, que Denis Robert a classé parmi « les soutiens des banquiers de clearstream » [Imagine-magazine n°43, février 2004] lors de la mission parlementaire sur le blanchiment des multinationales, celui qui sut être bienveillant à l’égard de Pinault quand il était ministre de l’économie, et qui cultiva quelques relations pétrolières, n’a pas perdu tout lien avec les milieux d’affaire.

C’est en effet son ami Lionel Zinsou, businessman béninois et neveu de l’ancien chef d’État Emile Derlin Zinsou, qui a organisé sa tournée africaine [Jeune Afrique, 18/07]. Zinsou est l’animateur d’un Think Tank intitulé Capafrique, parrainé par Claude Bébéar, et dont le blog nous apprend qu’il a ses entrées à l’Élysée. Zinsou est enfin associé gérant de la banque Rothschild où il est en charge de la privatisation prochaine de Dagris [La Lettre du Continent, 27/07]. Est-ce pour cette raison que Laurent Fabius a rencontré lors de sa tournée le PDG de la Compagnie malienne pour le développement du textile (CMDT) qui est détenu à 49 % par... Dagris ? [AFP, 27/06]

Du côté de Ségolène Royal, c’est plutôt silence radio sur les questions africaines. Au point que son site « Désir d’avenir », qui se veut un « forum participatif » où « la parole est à vous », a squizzé à deux reprises et sans la moindre explication malgré les protestations de l’auteur, une contribution sur la politique africaine de la France et la complicité de notre pays dans le génocide au Rwanda, qui fait l’objet de plaintes devant le tribunal aux armées [Cf. [http://manu.citoyen.free.fr/index.htm].->http://manu.citoyen.free.fr/index.htm].]

Bref, comme d’habitude sur les questions africaines, l’alternance semble se préparer dans la continuité...

Victor Sègre

[1Cf. « L’autoamnistie des généraux criminels est inconstitutionnelle et illégale », sur www.algeria-watch.org/fr/aw/autoamnistie_generaux.htm

[3Interview donnée à Jeune Afrique, 30/07/06.

#GénocideDesTutsis 30 ans déjà
Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 150 - Septembre 2006
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