Survie

Pourrissement

(mis en ligne le 1er septembre 2006)

Comme un organisme travaillé par une infection maligne, l’Afrique n’en finit pas de voir pourrir ses plaies, qui semblent inguérissables. Après le Sud c’est l’Ouest du Soudan, le Darfour, qui se trouve indéfiniment en proie à une guerre civile féroce. Les milices pro-gouvernementales font régner la terreur. Depuis début 2003, les combats, les opérations de purification ethnique et la crise humanitaire ont provoqué la mort de 180 000 à 300 000 personnes. Au moins 2,4 millions de personnes ont été déplacées dans cette région. Les émissaires de l’ONU et les ONG, comme Amnesty International ou MSF ont beau dénoncer la situation critique des droits de l’Homme au Darfour, les populations restent exposées aux exactions, qui ne cessent pas. Mis en demeure de protéger ses populations ou d’accepter une intervention de l’ONU, le régime de Khartoum ne fait pas grand-chose d’un côté et refuse de l’autre toute ingérence, considérée comme hostile de la part de l’Occident. La solution serait-elle dans l’intervention, sous mandat de l’ONU, de contingents de pays musulmans ? Les efforts de médiation des chefs d’État du Sénégal et du Nigeria n’ont pas, jusqu’à présent, eu beaucoup de résultats sur le terrain, malgré les accords signés avec certaines fractions de la rébellion. Peu peuplé, le Soudan est le pays de plus vaste du continent africain. Il est riche d’immenses ressources, dont le contrôle est convoité par les puissances mondiales. Sur les frontières du Soudan, le Tchad et la Centrafrique sont en proie également aux funestes enchaînements rébellion - répression, avec des populations civiles qui subissent les exactions de toutes parts. La situation ne cesse de se dégrader dans le Nord de la Centrafrique. La FIDH dénonce l’inertie de la Cour pénale internationale concernant les crimes commis, entre octobre 2002 et mars 2003, aussi bien par les troupes loyales au président de l’époque, Ange-Félix Patassé, que par la rébellion alors menée par le général François Bozizé, qui a finalement renversé le premier le 15 mars 2003 et s’est depuis fait élire à la tête de l’État. Il est aidé activement par la France pour venir à bout des mouvements de rébellion. Parmi les accusés dans la responsabilité des crimes poursuivis devant la CPI, on cite Jean-Pierre Bemba, dont les milices étaient venues au secours de Patassé, et L’ex-gendarme français Paul Barril.

Enfin la situation en République démocratique du Congo est loin d’être rassurante. Des élections viennent de s’y dérouler sous la surveillance de la MONUC et de l’EUFOR. Le deuxième tour de l’élection présidentielle risque d’avoir lieu sous haute tension, dans un pays divisé entre l’Est, la région des grands lacs qui a plébiscité Joseph Kabila, et l’Ouest, avec Kinshasa, où Jean-Pierre Bemba a fait ses meilleurs scores. L’état de déliquescence du Congo, après trente ans de prédation mobutiste et dix ans de guerres civiles qui ont fait entre trois et quatre millions de morts, est total. Là aussi les puissances mondiales sont aux aguets, plus soucieuses de contrôler les pouvoirs que de protéger les populations autrement qu’en discours et en gesticulations. L’occupation durable par la MONUC, forte de 17 600 soldats, a ainsi contribué au développement de la prostitution des mineures, dans un pays ravagé par la misère.

Les enjeux de puissance qui s’exercent en Afrique sont à la mesure des ressources convoitées. La machine folle de la consommation mondiale de pétrole et autres matières premières a besoin, tel un moloch, de dévorer les pays qui recèlent ces ressources, et qui, hélas, ne sont pas en mesure de les défendre. La carte des conflits, du Soudan à la RDC, recouvre exactement la carte des réserves du sous-sol.

Pour couronner le tout voici qu’on annonce la réception officielle en France, le 7 septembre prochain, de Faure Gnassingbé, qui a accédé à la Présidence du Togo, succédant à son père le sinistre dictateur Eyadéma, par le coup de force, la fraude et l’assassinat. Le sang des centaines de Togolais, qui sont morts pour avoir protesté contre la reconduite de la dictature, n’a pas pu empêcher que, toute honte bue, la France ne consacre de son approbation ce triomphateur, prétendant faire de ceux qui incarnent toutes les turpitudes du passé, les garants d’un avenir démocratique. Cette propagande mensongère est grosse de tristes lendemains, et nous pensons que le peuple togolais doit pouvoir choisir librement ses gouvernants, avec de véritables garanties d’un scrutin honnête. Tant qu’il n’aura pas pu le faire, l’illusion de la stabilité n’aura rien à voir avec un état de paix civile nécessaire au développement tant désiré.

D’où vient l’infection qui mine l’Afrique ? Plus il y a de “décideurs” qui s’intéressent à son sort, plus les rhétoriques sur son devenir s’étalent en vain ronflement, plus les Africains se ruent pour quitter leurs pays invivables. Cherchez l’erreur !

Odile Tobner

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Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 150 - Septembre 2006
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