Survie

Darfour : Ils ont dit...

(mis en ligne le 1er octobre 2006) - Pierre Caminade, Victor Sègre

" Monsieur le Président de la République, Le gouvernement soudanais rejette catégoriquement la résolution 1706 du Conseil de sécurité des Nations unies visant à déployer des casques bleus au Darfour. Il lance dans le même temps une vaste offensive militaire dans cette région de l’ouest du Soudan, tout en se disant prêt à continuer le dialogue avec la communauté internationale. Depuis le 28 août 2006, la région de Kulkul, dans le Darfour septentrional est en proie à des bombardements aériens et des attaques au sol menées conjointement par les soldats et les miliciens Janjawids. Des exécutions sommaires, des actes de torture et des viols ont été commis en grand nombre dans les territoires conquis par l’armée. Le 31 août, sept hommes ont, par exemple, été capturés près de la ville d’Um Sider par des militaires et des Janjawids. Quelques jours plus tard, les corps de trois d’entre eux, criblés de balles et présentant des traces de pneus, ont été retrouvés non loin d’une caserne occupée par les troupes gouvernementales. Depuis trois mois, les travailleurs humanitaires, pris pour cibles, ont quitté les lieux. Les Nations unies (NU), l’Union africaine (UA) et la Cour Pénale Internationale (CPI) estiment les zones de combat trop dangereuses pour envoyer des équipes chargées d’enquêter sur les atteintes aux droits de l’Homme et au droit humanitaire. Du coup, les forces gouvernementales tuent sans témoins internationaux. En trois ans de conflit, et plus de 300 000 morts et 2,5 millions de déplacés, aucune véritable solution n’a été proposée par les autorités soudanaises pour mettre fin aux souffrances de la population au Darfour, au contraire elles démentent régulièrement les allégations de violences. Le gouvernement soudanais méprise le Darfour et brave ouvertement les différentes résolutions des NU : violations du cessez-le-feu, utilisation d’avions de combat pourtant interdits de survol, obstruction à l’aide humanitaire, violation de l’embargo sur les armes... Khartoum réfute la compétence juridique de la CPI au Soudan et affirme que son système judiciaire est en mesure d’enquêter sur tout type de crime perpétré au Darfour. Le tribunal spécial pour le Darfour, créé en juin 2005, n’a pourtant jugé aucun responsable de rang intermédiaire, ni entrepris de véritable enquête. Depuis trop longtemps, les pays de la Ligue arabe, la Chine et la Russie ferment les yeux sur les atrocités commises au Darfour pour des raisons économiques et bloquent toute mise en place de sanctions au niveau du Conseil de sécurité des NU. La France, de son côté, devrait aller plus loin. En 2005, les échanges commerciaux entre la France et le Soudan se sont " envolés " selon le MEDEF [Medef International, Comité Afrique, Note de Présentation de la rencontre avec M. Lam Akol, Ministre des Affaires Etrangères de la République du Soudan, le 31 mai 2006]. Plusieurs entreprises françaises ont gagné des marchés dans les secteurs de l’énergie, des transports et des télécommunications. Si la France ne veut pas être soupçonnée de ménager le régime de Khartoum au nom de ses intérêts économiques et financiers, elle doit davantage se faire entendre. Pour l’Action des chrétiens pour l’abolition de la torture (ACAT-France), le Comité Catholique contre la faim et pour le développement (CCFD), la Cimade et le Secours Catholique - Caritas France, la France doit : - Accentuer la pression sur les autorités soudanaises pour qu’elles acceptent le déploiement des casques bleus au Darfour. - Encourager fortement la Chine, la Russie et les pays de la Ligue arabe pour qu’elles appuient le déploiement de casques bleus au Darfour, acceptent la mise en place de sanctions à l’encontre des responsables soudanais qui bloquent le processus de paix au Darfour et la mise en oeuvre de la résolution 1706, qui violent l’embargo sur les armes et qui encouragent la poursuite des atteintes aux droits de l’Homme, et acceptent le renforcement de l’embargo sur les armes adopté lors de la résolution 1591 (juillet 2004), en l’étendant à l’ensemble du territoire soudanais. - Bloquer tout investissement commercial français au Soudan tant que Khartoum refusera le déploiement de la force des Nations unies au Darfour. La Mission Economique et Commerciale de l’Ambassade de France à Khartoum devrait être symboliquement fermée. - Soutenir fermement le travail de la CPI au Darfour. Nous demandons enfin à la France de rappeler que la résolution 1706, votée sous chapitre VII de la Charte des Nations unies, est contraignante pour Khartoum. Il serait mieux d’obtenir l’accord des autorités soudanaises pour mettre en application cette résolution, mais cela n’est pas forcément nécessaire. La crise au Darfour n’a que trop duré, la population civile ne peut pas continuer à mourir en silence. Ne retardons plus le déploiement des casques bleus au Darfour. "

Action des chrétiens pour l’abolition de la torture [ACAT-France], Le Comité Catholique contre la faim et pour le développement [CCFD], La Cimade, Le Secours Catholique - Caritas France, lettre à Jacques Chirac, Ne retardons plus le déploiement des casques bleus, le 15/09).

Voici des propos que nous soutenons.

" D’abord tout le monde ne sait pas très bien ce que c’est que le Darfour, mais c’est une région immense [...] dans laquelle il y a de multiples ethnies avec des oppositions entre elles qui ont conduit le gouvernement du Soudan à chercher à rétablir le calme par la force. " (Jacques CHIRAC, interviewé par J.-P. Elkabach sur Europe 1, le 18/09).

Comme à l’accoutumée, le rideau de fumée de l’explication ethniste est bien pratique. L’interprétation en terme de conflit interethnique dispense de désigner les coupables des crimes contre l’humanité qui sont commis, et dissimule les intérêts économiques occidentaux en jeu dans le ballet diplomatique en cours.

Victor Sègre

" Un crime contre l’humanité se prépare [au Darfour] " (Jacques CHIRAC, discours à l’ONU le 19/9, cité par l’AFP, le 21/09).

Que le débat ne soit pas tranché pour savoir s’il s’agit d’un génocide est une chose, mais le Président français est au sommet de la désinformation en parlant comme si la dimension de crime contre l’humanité n’était pas totalement avérée depuis des années ! Sinon, pour l’essentiel, son intervention s’inscrivait dans la posture " il faut que le Soudan accepte que l’ONU prenne le relais de l’UA au Darfour ", sachant très bien qu’il n’est pas question pour Khartoum d’accepter de respecter la si peu résolue résolution 1706.

Pierre Caminade

#GénocideDesTutsis 30 ans déjà
Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 151 - Octobre 2006
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