Survie

Cote d’Ivoire : A fleur de presse : Pas de mandat d’arrêt contre les mercenaires qui ont bombardé la force Licorne

(mis en ligne le 1er décembre 2006) - Victor Sègre

Libération, Pas de mandat d’arrêt contre les mercenaires qui ont bombardé la force Licorne (Thomas HOFNUNG), 08/11 : « Veut-on enterrer l’enquête sur les exécutants du bombardement par un avion de l’armée ivoirienne d’un campement français à Bouaké qui, le 6 novembre 2004, avait fait 9 morts parmi les soldats de l’opération Licorne en Côte-d’Ivoire ? Deux ans après le drame, Me Jean Balan, l’avocat des familles, ne cache pas son inquiétude, alors que le parquet du tribunal aux armées de Paris (TAP) s’oppose aux demandes d’arrestation de deux mercenaires biélorusses et du négociant d’armes français Robert Montoya. “J’ai peur qu’on veuille faire passer le dossier à la trappe”, a-t-il déclaré, lundi soir. En février 2006, juste avant de quitter ses fonctions, l’ancienne juge aux armées Brigitte Raynaud avait formulé trois mandats d’arrêt dans cette affaire. Mais, début septembre, le procureur Jacques Baillet a refusé, comme l’a révélé lundi le Figaro, de les délivrer. Selon lui, l’identité des pilotes ne serait pas établie. Pourtant, la DGSE elle-même, comme l’a indiqué Libération (3 juillet 2006), a cité les noms des deux pilotes biélorusses, Yuri Sushkin et Barys Smahin. “Ils bénéficient de la présomption d’innocence, mais pourquoi s’interdire de les entendre ? s’interroge Me Balan. En réalité, les autorités françaises n’ont pas envie qu’on sache qui a donné l’ordre et pourquoi de bombarder Licorne à Bouaké.” Alors que l’enquête reprise par la juge Florence Michon paraît au point mort, certaines familles de soldats tués commencent à exprimer ouvertement leurs doutes quant à la volonté du gouvernement de faire la lumière sur le bombardement de Bouaké. »

La mort des soldats français avait, rappelons-le, servi de justification à la destruction de l’aviation ivoirienne, alors que cette dernière était engagée depuis trois jours dans une opération militaire de reconquête du Nord du pays, qui avait initialement laissé de marbre la France et l’ONU. Des représailles s’en étaient suivies de la part des jeunes patriotes à l’encontre de la communauté française d’Abidjan (sans mort d’homme, mais avec trois viols recensés). L’armée française, "égarée" près du palais présidentiel, selon l’explication officielle, avait alors tiré à balles réelles sur la foule venue s’interposer, faisant une soixantaine de morts et plus de mille blessés.

En juillet dernier, notre ministre de la défense, Mme Alliot Marie, prétendait encore que les noms des mercenaires bielorusses responsables des bombardements sur les soldats français n’étaient pas connus et qu’ils n’avaient pu être ni arrêtés ni interrogés faute de preuves pour fonder un mandat d’arrêt international. On sait pourtant, d’après les notes déclassifiées de la DGSE, que l’armée française avait suivi de A à Z l’arrivée et l’installation de ces mercenaires et qu’elle disposait donc peut-être de ces informations avant même le début des opérations militaires. Quinze autres mercenaires avaient même été interceptés le 6 novembre, arrêtés quatre jours et auditionné par le COS, mais, toujours selon Mme Alliot Marie, cette audition n’avait pas porté "au fond" en l’absence de procédure judiciaire. Sans doute n’avaient-ils discuté que de la météo...

Enfin dix jours après les bombardements, huit Bielorusses étaient arrêtés au Togo, placés en garde à vue, tenus à la disposition de la France... et finalement relâchés sans suite à la demande expresse de cette dernière ! On ne s’étonnera donc pas trop de la volonté du parquet du Tribunal aux armées de classer l’affaire. Outre l’identité des commanditaires des bombardements sur les soldats français, c’est le rôle de Robert Montoya qui aurait pu être mis en lumière. Ce dernier, qui a fourni avions et mercenaires à Gbagbo et qui lui sert de conseiller, aurait bénéficié, selon la Lettre du Continent du 31/08, de la promesse de l’Élysée de ne pas être inquiété par la justice en échange de son silence. Montoya fait partie de ces anciens super-gendarmes de l’Élysée reconvertis dans les sociétés militaires ou de sécurité privées, et dans le "conseil" aux dictateurs africains. Généralement présentés comme des "électrons libres" par la presse, on sait que leur indépendance est relative, et qu’ils sont fort utiles pour effectuer des tâches de sous-traitance officieuse pour le compte de la cellule africaine de l’Élysée, comme ce fut le cas pour Paul Barril au côté des génocidaires au Rwanda. Certaines des activités antérieures de Montoya, comme la surveillance de plusieurs centaines d’opposants togolais au régime d’Eyadéma, relevaient vraisemblablement de cette logique. Dans le cas ivoirien, il serait donc extrêmement instructif de savoir de quel degré d’autonomie bénéficie Montoya, et de quelle nature sont ses protections parisiennes, sans lesquelles le rôle qu’il a joué paraît difficilement envisageable. Cela pourrait éclairer d’un jour intéressant la crise franco-ivoirienne.

Victor Sègre

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Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 153 - Décembre 2006
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