Survie

Cote D’Ivoire : la France propose quand même les pleins pouvoirs pour le Premier ministre...

(mis en ligne le 1er décembre 2006) - Victor Sègre

« (La France propose quand même les pleins pouvoirs pour le Premier ministre. Les fidèles du président Gbagbo considèrent qu’il s’agit désormais d’une mise sous tutelle politique après une mise sous tutelle militaire du pays. [...])

– D’abord, ce n’est pas la France qui propose. [...] la base de ce projet de résolution, ce sont les recommandations de la CEDEAO et de l’Union africaine.

(Justement, confirmez-vous ce que l’Agence France Presse a annoncé ce matin, c’est-à-dire qu’il y a bien un texte, un projet défendu par la France qui circule en ce moment et qui affirme notamment que le Premier ministre, Charles Konan Banny, aura le pouvoir de nommer un nouveau chef d’État-major, c’est-à-dire aura autorité sur les forces de défense et de sécurité ivoiriennes, ce que l’Union africaine n’a pas osé recommander ?)

– [...] Encore une fois, il y a différents projets. Je ne sais pas s’il y a un projet spécifiquement français. »
(Porte-parole du Quai d’Orsay, Point de presse du 24/11).

Il fait plaisir de constater que le sens de l’humour est une qualité qui ne se perd pas au ministère des Affaires étrangères, et on espère que les journalistes présents n’auront pas trop eu l’impression d’avoir été pris pour des imbéciles. Quelques mois plus tôt, Francis Blondet, ambassadeur de France au Burkina, présentait l’action de la France à l’égard de la Côte d’Ivoire de manière un peu plus conforme à la réalité : "En général, c’est la France qui prépare les textes de résolutions, les fait circuler, et use de son influence quand il faut les amender. C’est vraiment un gros travail d’arrière-salle qui est mené à ce niveau." (Le Pays, 13/07) On comprend d’autant moins les petites cachotteries du Quai d’Orsay que, non seulement Associated Press et l’AFP révélaient le jour même l’existence et la teneur du projet français de résolution soumis à discussion, mais en plus Chirac et Girardin préparaient le terrain haut et fort et en toute franchise depuis quelques temps déjà...

Depuis plusieurs mois, le débat était agité entre le pouvoir français et le pouvoir ivoirien concernant le Groupe international de travail (GIT), proposé par l’UA et avalisé par la résolution 1633 de l’ONU ; concernant surtout ses compétences et son degré de prééminence sur les pouvoirs présidentiels définis par la Constitution ivoirienne. À l’approche de la fin de la période de transition, les élections n’ayant toujours pas eu lieu faute de désarmement et de recensement du corps électoral, plusieurs voix se sont faites entendre pour un basculement des pouvoirs présidentiels vers le Premier ministre (choisi à l’initiative de Chirac lors du dernier sommet Afrique-France), et une mise entre parenthèse de la Constitution ivoirienne. La proposition est émise une première fois par Omar Bongo le 31 août, à la sortie d’un entretien à l’Élysée, puis par le GIT lors de sa dernière cession le 8 septembre, à l’initiative de notre ministre déléguée à la Coopération Brigitte Girardin.

La légitimité de cette dernière instance paraît toutefois insuffisante pour entraîner une validation immédiate par le Conseil de Sécurité. La Chine et la Russie exigent une nouvelle consultation de la Cédéao et de l’UA. Chirac profite du sommet de la Francophonie à Bucarest fin septembre pour monter lui-même au créneau : "Je considère que M. Konan Banny est un homme de sagesse, qui n’est pas impliqué dans la défense d’intérêts particuliers en Côte d’Ivoire, qui incarne donc autant que faire se peut l’intérêt général. Je serais donc, pour ma part, tout à fait favorable à ce qu’une disposition constitutionnelle lui permette d’avoir les pouvoirs les plus larges possibles." (Yahoo CI, 03/10). La réunion de l’UA est également préparée à cette occasion en petit comité françafricain (ATT, Compaoré, Gnassingbé, Vieira, Wade, Yayi) à l’initiative d’Omar Bongo et Sassou Nguesso, lequel rencontre par ailleurs Guillaume Soro en marge du sommet (Jeune Afrique 01/10).

Le 6 octobre, la Cédéao n’émet que des recommandations théoriquement confidentielles à destination de l’UA, mais d’où il ressort rapidement qu’elles demandent une reconduction du mandat de Gbagbo avec accroissement des pouvoirs du premier ministre. Quelques jours plus tard, Sassou Nguesso annonce, à l’issue d’un entretien avec Chirac, des "mesures sérieuses" de l’UA qui ne s’est pas encore réunie. Commentant la résolution de l’UA, le porte-parole du ministère des Affaires étrangères, Jean-Baptiste Mattéi, déclare ensuite accueillir "avec intérêt l’appel à un renforcement important des pouvoirs du premier ministre qui pourra décider par ordonnances ou par décrets-lois et qui aura l’autorité nécessaire sur les forces de défense et de sécurité". Sassou Nguesso, à qui Chirac a réitéré "toute sa confiance" au sommet de Bucarest, est par ailleurs désigné "médiateur" en remplacement du Sud Africain Thabo Mbeki, jugé trop proche des autorités ivoiriennes par Paris, et les Forces Nouvelles.

Tout semblait se dérouler conformément au vœux de l’exécutif français, au point que Jean-Pierre Tuquoi pouvait annoncer dans Le Monde du 25/10 : "Même s’il subit quelques retouches avant son adoption (au plus tard le 31 octobre date de la fin d’application de la résolution précédente), le texte français ne devrait pas être bouleversé par les autres membres du Conseil de Sécurité." Paris, qui occupe par l’histoire une position centrale dans le dossier ivoirien, a fait en sorte, en effet, que le document s’inscrive dans le droit fil des "recommandations" adressées ces dernières semaines à l’ONU par les pays africains. Le projet de résolution a le mérite d’être clair.

Le 26 octobre, l’ambassadeur de France aux Nations Unies se disait encouragé par « l’énorme soutien » à la résolution française (AP, 26/10). Le 31 au soir, la résolution n’était pourtant pas adoptée, plusieurs pays (Chine, USA, Russie, Tanzanie) menaçant de s’abstenir au motif que la suspension par l’ONU d’une constitution nationale établirait un précédent dangereux. Le lendemain, la France obtenait finalement un vote à l’unanimité sur un texte plus ambigu. Depuis, Ggagbo a déclaré que les dispositions qui entraient en contradiction avec la Constitution ne seraient pas appliquées, tandis que Brigitte Girardin commentait : « La Constitution ivoirienne ni aucune autre disposition juridique ne peuvent plus être opposées [au premier ministre] pour lui contester ses pouvoirs. » (Le Parisien, 03/11) Retour à la case départ ?

#GénocideDesTutsis 30 ans déjà
Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 153 - Décembre 2006
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