Survie

Edito : Panique à bord

(mis en ligne le 1er décembre 2006) - Odile Tobner

Les Occidentaux découvrent avec effroi la présence de la Chine en Afrique, consacrée par un sommet Chine Afrique qui s’est déroulé à Beijing les 4 et 5 novembre derniers, remportant un franc succès auprès des États africains. 48 étaient représentés, dont 24 par leur chef d’État, sur les 53 appartenant à l’UA. Seuls les 5 pays africains : Burkina Faso, Gambie, Sao-Tomé et Principe, Swaziland, Malawi, qui reconnaissent Taïwan, étaient absents. On ne compte plus, depuis quelque temps, les appels dramatiques lancés dans les médias français par les experts de tout poil pour sauver les malheureux Africains de l’ogre chinois. Le journal burkinabé San Finna laisse entrevoir des possibilités de revenir à la surenchère de type "guerre froide" comportant des risques de déstabilisation et d’utilisation de la vieille recette des guerres par procuration. C’est ainsi que, de 1960 à 1990, toute entreprise progressiste en Afrique a été combattue, sous prétexte qu’elle était de mèche avec Moscou. Il y avait même une véritable paranoïa des services français là-dessus dans leur chasse aux intellectuels africains tant soit peu critiques, qui ont été étouffés et censurés par tous les moyens.

Mais, après l’effondrement de l’URSS, le climat a bien changé. Le dragon chinois, beaucoup plus redoutable apparemment, n’exporte plus sa révolution mais ses marchandises et lorgne l’accès aux matières premières, chasse gardée de l’Occident. La concurrence ne peut qu’être favorable aux Africains. Les motos chinoises à bon marché sont plus efficaces pour empêcher l’exode des jeunes, du fait des activités possibles qu’elles leur offrent, que les discours sur le co-développement de Sarkozy. La compétition pour les matières premières fera certainement grimper les cours en faveur des pays africains. Déjà, au Niger, la Cogema-Areva, jusque là en situation de monopole, dictant ses conditions, s’inquiète de l’accord conclu avec la Chine pour l’exploitation d’un gisement d’uranium. Si la France a, depuis des décennies, l’électricité la moins chère d’Europe, c’est parce qu’elle fait son électricité nucléaire sur le dos des pauvres Nigériens, sans état d’âme. Quant à la lutte contre la corruption, après une éternité de discours creux, elle a une chance de devenir une réalité s’il s’agit de contrer les Chinois. La vertu a peut-être enfin de beaux jours devant elle.

Et on ne le regrettera pas à voir les conséquences de l’impunité qui a protégé le déploiement débridé des activités criminelles en Afrique jusqu’à présent. Il a fallu plus de dix ans pour que l’assassinat du juge Bernard Borrel, perpétré en octobre 1995 à Djibouti, soit reconnu, alors que, dès les premiers instants, les autorités françaises ont orchestré le mensonge à son sujet pour couvrir d’infâmes trafics. La justice protégeant le crime, il n’y a pas de perversion plus ruineuse pour un État, à très brève échéance. Enfin, sur la brûlante question du Rwanda, toute la politique française se résume à un lamentable « ce n’est pas nous, c’est l’autre », dans un effort désespéré de pointer du doigt un responsable présumé de l’événement qui a précipité la tragédie et qui en ferait oublier les organisateurs et les acteurs. Se camper dans une posture arrogante : surtout pas de repentance, n’empêchera pas la vérité de faire son chemin.

Odile Tobner

#GénocideDesTutsis 30 ans déjà
Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 153 - Décembre 2006
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