On a déjà salué (Billets n°153), l’article de P. de Saint-Exupéry dans Le Figaro [25/11, La véritable enquête sur l’assassinat du président rwandais Habyarimana reste à faire]. Dans Libération, Christophe Ayad a également relevé certaines bizarreries et pointé la question du négationnisme [Une relecture ambiguë de l’histoire, 23/11], tandis que, dans le même numéro, Thomas Hoffnung exhumait Paul Quilès et dressait le portrait de Kagame en « ennemi résolu de la France ». On peut estimer que dans l’ensemble la presse a porté un regard critique sur le contenu du rapport Bruguière et le contexte de son apparition. Quelques articles en revanches laissent songeurs.
Dans Le Monde du 27/10, J.-P. Rémy relève « une accumulation d’erreurs déconcertantes » sur des « détails » et note « s’agissant de l’importance de cette enquête [...] ces imprécisions laissent songeur. » Il note également des confusions « plus graves » et souligne que nombre de témoins sur lesquels s’appuie le rapport sont indirects, voire douteux. Étonnamment, cela ne l’empêche pas d’affirmer : « Ces faiblesses ne remettent pas en cause le fond de l’enquête, dont les conclusions font porter au FPR la responsabilité de l’attentat. Ces conclusions sont confortées, en particulier, par l’établissement de la filière des missiles ayant servi à abattre l’avion de Juvénal Habyarimana, et qui auraient été livrés au FPR. » Pourtant Rémy reconnaît aussitôt que pour cette question, le rapport Bruguière s’appuie sur le témoignage des génocidaires aujourd’hui jugés à Arusha, et se demande en conclusion : « Ces officiers supérieurs peuvent-ils être considérés comme des témoins fiables ? » La démonstration porte pour le moins à confusion...
Du côté de L’Express (21/11), sous la plume de Eric Pelletier, Jean-Marie Pontaut et Vincent Hugeux, un long article paraphrase le rapport qui « met en évidence l’implication directe de l’actuel président dans l’assassinat, le 6 avril 1994, de son prédécesseur. Attentat qui déclencha le génocide antitutsis. ». Pas l’ombre d’une interrogation ou d’une critique. On fustige en revanche les « manœuvres de désinformation » et « une campagne de presse, qui débute en Belgique » à l’initiative d’une mystérieuse société ISTO « d’escrocs manipulés par la CIA » qui imputent à la DGSE la responsabilité de l’attentat. Cette version a déjà été présentée en janvier de cette année dans le très pro-Péan « Afrique Education ».
Enfin, c’est le degré zéro de l’information dans les hebdomadaires satiriques souvent mieux inspirés sur d’autres sujets. Le Canard Enchaîné n’y consacre qu’une caricature du meilleur goût : sous la légende « Kigali coupe tout lien avec Paris », un Rwandais amputé à la machette déclare « Décidément, couper c’est une habitude... » ; suggérant en deux phrases une barbarie atavique et une continuité entre l’ancien régime génocidaire et les nouvelles autorités. Dans Bakchich, une simple brève, et un renvoi vers leur “partenaire” geopolitique.com qui publie « en exclusivité » le fameux rapport Hourigan. Un sacré scoop auquel Péan et Smith ont pourtant déjà assuré une large publicité...
Victor Sègre