Survie

Madagascar : Marc Ravalomanana, réélu Président de la République Malgache au Premier tour

(mis en ligne le 1er janvier 2007) - Jean-Yves Barrère

Le conte de fées continue...

Marc Ravalomanana a été réélu sans véritable contestation politique d’envergure nationale, dès le premier tour, avec 54,8 % des voix. Son principal concurrent, Jean Lahiniriko totalise 11,68 % des voix au niveau national mais le devance dans sa Province de Toliara, toujours rebelle. Dans la Province de Toamasina, le neveu de l’ancien Président, Roland Ratsiraka fait un bon score, mais ne totalise que 10,09 % au niveau national. De même Herizo Razafimahelo (9,05 %) et Norbert Ratsirahonana (4,20 %) ne parviennent pas à résister à la puissante machine électorale du Président sortant. Ni aucun des dix autres candidats.

La démocratie formelle a encore des progrès à faire...

La disproportion entre les moyens mis à la disposition des challengers du Président en exercice (financiers, médiatiques, transports) est vertigineuse et nullement contestée par celui-ci. Cette inégalité de traitement a été contestée par l’ensemble des autres candidats, mais elle ne sera pas prise en considération en l’absence d’une loi électorale précise sur les budgets de campagne. La CNOE, Commission nationale d’observation des élections, qui a toujours joué un grand rôle dans les moments-clés de la vie politique et électorale malgache, en 1991 et 2001-2002, a pourtant dénoncé ce manquement aux règles démocratiques élémentaires, dans une conférence de presse, à la veille des élections.

La saga du petit marchand de yaourts à vélo...

Toute la presse internationale colporte cette saga sympathique qui dissimule une conquête inexorable du pouvoir à partir d’un groupe agro-alimentaire puissant, forgé dans les années 80 avec l’appui de financements multilatéraux généreux. À partir de cette base économique et financière, Marc Ravalomanana a su élargir son rayonnement commercial dans plusieurs domaines et bâtir un groupe médiatique (Radio-Télé) qui va lui servir de caisse de résonance. Il ne néglige pas les responsabilités dans la religion et deviendra Vice-Président d’une puissante branche de l’Église protestante, poste qu’il ne quittera même pas après les élections de 2002. Puissant dans le business, les médias et la religion, il se lance dans la politique en remportant les élections municipales dans la capitale malgache, Antananarivo, à la fin des années 1990. Puis, il se présentera aux élections présidentielles de la fin 2001. Ce sera le grand conflit avec le Président sortant, Didier Ratsiraka, dont il sortira vainqueur après six mois d’une longue crise, qui paralysera le pays tout entier (voir Billets de 2002). Le chef d’entreprise est devenu Chef d’État en moins de dix ans. Il a su s’appuyer sur la lassitude pour ne pas dire plus, du peuple malgache vis à vis du Président Ratsiraka, au pouvoir depuis 1975, et parfaitement corrompu.

Le développement rapide et... durable !

Le nouveau président Ravalomanana s’installe au pouvoir en juin 2002, avec le soutien de la Communauté internationale qui le reconnaît officiellement et lui assure très rapidement les moyens du rétablissement de l’activité économique et financière. Les Américains (USA) et tout particulièrement l’équipe néo-conservatrice au pouvoir lui seront reconnaissants de son libéralisme échevelé et de son envie de secouer la tutelle francophone. James Bond, car tel est le nom du représentant de la Banque Mondiale à Antananarivo, sera le meilleur et le plus écouté des conseillers de Ravalomanana. Au point, disent les mauvaises langues, que le Président souhaite le faire siéger au Conseil des Ministres. En tout cas, les programmes de « Réduction de la pauvreté » qui traînaient dans les tiroirs depuis 2000-2001, sont adoptés après un lifting très léger, en moins d’un an et le Président parcourt le monde à la recherche d’alliances tous azimuts (Chine, Canada, États-Unis, Indonésie, Afrique Australe, Maurice...), sans négliger de faire le minimum avec la France et la Francophonie, à laquelle il adhère du bout des lèvres. Sur le plan intérieur, tous les efforts sont concentrés sur la construction des routes, ce qui est visible et a un impact certain sur les échanges intérieurs. Malheureusement, la hausse du pétrole et la libéralisation à tout va, aura des effets dévastateurs sur les grands équilibres économiques : inflation, dévaluation de la monnaie, dégradation du commerce extérieur. Les gendarmes du FMI et de la Banque Mondiale seraient prêts – sans doute – à négocier avec des économistes malgaches conscients des risques d’un excès de libéralisme dans ce contexte international défavorable, mais l’idéologie triomphe au Palais présidentiel. Et l’énergie, totalement dépendante du cours du baril sera libéralisée à marches forcées, comme l’eau : la Jirama privatisée... Les Malgaches qui ont un très grand respect pour leur terre et pour leurs ancêtres, sont bousculés par leur Berlusconi qui a fait passer au cours de l’été 2004 une loi révolutionnaire – dans le sens où Marx disait que la bourgeoisie l’était aussi, face à l’aristocratie – une loi foncière qui commence à rencontrer de profondes résistances [lire La Lettre du Consortium n°9 : Jacquerie d’Ankorondrano, Premiers signes d’une montée en puissance des luttes paysannes].

Quelques conclusions partielles.

Le départ précipité de Didier Ratsiraka en 2002, s’est fait dans un grand désordre maîtrisé et le nouveau Président a su s’allier alors des forces nombreuses et sincères qui n’ont pas encore voulu lors de ces élections présidentielles, renoncer à lui conserver son pouvoir omnipotent. Pour autant, Marc Ravalomanana aurait tort de croire que la partie est gagnée pour un nouveau bail présidentiel. Les prochaines élections législatives et municipales pourraient lui apporter quelques déceptions si son opposition et la société civile, très puissante mais trop discrète, décidaient de débattre des vrais problèmes qu’un des peuples les plus pauvres de la planète ait à affronter : le libéralisme débridé sous contrôle des bailleurs internationaux.

Jean-Yves Barrère, Président du Consortium de solidarité avec Madagascar

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Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 154 - Janvier 2007
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