Survie

Côte d’Ivoire – Ouaga : Laurent Gbagbo offre un nouveau costume à Guillaume Soro

(mis en ligne le 1er avril 2007) - David Mauger

L’accord de Ouagadougou, signé le 4 mars, tente d’installer un modus vivendi entre les Forces Nouvelles et celles du président Gbagbo et fixe un chemin semé d’embûches vers les élections... marginalisant les autres forces politiques et accordant toujours aussi peu de place aux citoyens.

Après quelques semaines de « dialogue direct » à Ouagadougou, les représentants des Forces Nouvelles, des présidents ivoirien et burkinabé, sont parvenus à un accord, signé le 4 mars par Laurent Gbagbo, Guillaume Soro et le "facilitateur" Blaise Compaoré. Négociations sans date butoir, ambiance de travail sereine, prudence dans les déclarations à la presse, le savoir-faire de la communauté Sant’Egidio (représentée par Mario Giro – déjà présent à Marcoussis en 2003) s’est révélé efficace. L’accord aborde successivement les questions de l’identification des populations, du processus électoral, de la restructuration de l’armée, du redéploiement de l’administration et de la réconciliation nationale. Il comporte un chronogramme devant mener aux élections en dix mois et dont les premières lignes ont été respectées scrupuleusement avec la mise en place d’un « centre de commandement intégré » et la désignation du nouveau Premier ministre. Dans le prochain mois, la formation du gouvernement, la suppression de la zone de confiance, puis le démantèlement des milices, le début du regroupement des ex-combattants et leur désarmement, le redéploiement de l’administration et les audiences foraines devraient suivre.

Guillaume Soro, nommé Premier ministre ce 29 mars par décret du président Gbagbo, acquiert des responsabilités nationales alors qu’il n’a pas encore 35 ans. Mais sans un accord additionnel sur le partage du pouvoir exécutif, la signature du président ivoirien reste cruciale à chacune des étapes : refondation de l’armée, nomination des magistrats des audiences foraines, attributions des nouvelles cartes d’identité, inscription sur les listes électorales, collaboration entre les opérateurs établissant les cartes d’électeur. En matière d’identification, le camp présidentiel obtient la limitation des audiences foraines à 3 mois – « pour 3 à 4 millions de "sans-papiers" », selon Pierre Schori.

Réconciliation ou petits arrangements ?

Le paragraphe sur la réconciliation nationale laisse perplexe : les signataires demandent aux Nations Unies la suppression de la zone de confiance, l’autorisation immédiate d’importer des armes légères et la levée des sanctions individuelles. Notons que le 28 mars, l’ONU a « fait sien l’accord de Ouagadougou ». Au menu de la réconciliation figure aussi une extension de la loi d’amnistie de 2003. Les faits couverts par la nouvelle amnistie débutent environ un mois avant l’arrivée au pouvoir de Laurent Gbagbo. La date retenue ne doit rien au hasard : le 17 septembre 2000, le général Robert Gueï échappait au « complot du cheval blanc », qu’il attribua aux partisans d’Alassane Ouattara, soutenus, selon lui, par « certaines chancelleries ». Fuyant la répression féroce qui s’ensuivit, des militaires ivoiriens – qui deviendront les chefs de l’armée rebelle – trouvèrent refuge à Ouaga. Le lot de consolation créé pour Bédié et Ouattara ressemble à une coquille vide, le Cadre permanent de concertation (CPC) ayant un rôle purement consultatif. La formation en cours du gouvernement de Guillaume Soro ne semble pas faire grand cas de ces deux poids lourds et de leurs partis politiques, le PDCI et le RDR.

En revanche, le rôle du "facilitateur" Compaoré est plus clair. Il forme à lui tout seul une sorte de nouveau Groupe de travail international : le Comité d’évaluation et d’accompagnement (CEA) composé uniquement, pour le moment, des représentants des signataires de l’accord, est chargé de rendre compte à l’ONU. Il pourra inviter d’autres acteurs ou observateurs à se joindre au Comité.

En signant cet accord, Guillaume Soro gagne une légitimité et une place de choix sur l’échiquier politique ivoirien. Mais une fois installé dans son nouveau bureau de la Primature, fera-t-il le poids face au « boulanger d’Abidjan » ? Les deux hommes se connaissent parfaitement. Tout comme les leaders des jeunes patriotes sanctionnés par l’ONU, Eugène Djué et Charles Blé Goudé, le nouveau Premier ministre est un ancien secrétaire général du syndicat étudiant Fesci. Il a été formé à la politique par le FPI de Laurent Gbagbo. Qui aura intérêt à appuyer le chef rebelle, constitutionnellement trop jeune pour briguer la magistrature suprême, dans son ascension politique ?

Les yeux doux de l’Élysée

La genèse de l’accord de Ouagadougou laisse penser que Laurent Gbagbo a obtenu cet accord grâce à la pression de Paris sur la rébellion. Rappelons quelques faits. Venu rendre visite à Blaise Compaoré, le Monsieur Afrique de l’Élysée – Michel de Bonnecorse – donnait son feu vert au « dialogue direct » le 9 janvier : « Le but des pays raisonnables est qu’il y ait des élections libres et honnêtes en octobre, ce qui donnera un président légitime qui sera soit élu, soit réélu, et c’est à ce président de mettre un terme à cette crise. » Le 11 janvier, RFI évoquait une rencontre à Paris de magistrats ivoiriens avec leurs homologues français au sujet des événements de novembre 2004 : « Un règlement à l’amiable est envisagé. Il est bien sûr question d’argent. » Le 12 janvier, la ministre de la Coopération, Brigitte Girardin, s’entretenait pour la première fois avec le président Laurent Gbagbo. Entre le 28 février et le 2 mars, elle rencontra successivement le "facilitateur" Blaise Compaoré, le président Laurent Gbagbo, l’ex-Premier ministre Charles Konan Banny, Guillaume Soro et l’opposant Alassane Ouattara. Mais cette agitation diplomatique tricolore ne doit pas faire oublier qu’un autre accord a été signé à Ouaga.

Le 24 janvier, le négociateur de la présidence ivoirienne, Désiré Tagro, rencontrait à Ouaga Éric de Turckheim, co-fondateur de Trafigura – la société responsable du déversement des déchets toxiques à Abidjan qui provoqua 15 décès. S’ensuivit un accord, le 13 février, portant sur un versement de Trafigura de 152 millions d’euros à l’État ivoirien, puis la libération de Claude Dauphin, aussi co-fondateur de la société, que Laurent Gbagbo gardait derrière les barreaux depuis presque cinq mois. Rappelons que Claude Dauphin et sa société sont impliqués dans de multiples scandales : affaire pétrole contre nourriture en Irak, scandale des réserves de pétrole stratégique en Afrique du Sud, financement du parti politique People’s National Party en Jamaïque. Trafigura, fondée par deux anciens collaborateurs français de Marc Rich, a pris l’habitude de faire affaire avec les pires régimes : le Nigéria d’Abacha, le Soudan d’El-Béchir, le Congo de Sassou Nguesso... la liste est sans doute malheureusement très incomplète. L’accord avec Trafigura était sans doute un préalable. Les déclarations du président de la Licra et député européen UMP, Patrick Gaubert, laissent penser qu’il s’est impliqué dans les négociations entre Trafigura et Laurent Gbagbo, qu’il a rencontré au début du mois de février puis du mois de mars : « c’est un bon accord », « il n’y a pas eu de négociation secrète. »

Revenons à l’accord politique. Ne peut-on imaginer que Jacques Chirac a reçu des signaux l’incitant à baliser une sortie de crise, ou, tout au moins, le retrait partiel de l’armée française, avant de quitter l’Élysée ? On siffle la mi-temps au moment où il se retire, laissant Gbagbo occuper quasiment tout le terrain. Libre au prochain locataire de l’Élysée de reprendre l’initiative... Mais d’ici là, le business franco-ivoirien reprend de plus belle : une délégation du Medef est prévue à Abidjan mi-avril. Les mauvais esprits se souviennent que fin 2005, Guillaume Soro vantait ses mérites de «  futur Premier ministre » et lançait un «  appel vers le BTP » sur le portail internet batiweb.com. À quand le troisième pont d’Abidjan ?

Cet accord tente d’installer un modus vivendi entre les Forces Nouvelles et celles du président Gbagbo, dans le cadre d’un désengagement des forces impartiales et fixe un chemin semé d’embûches vers les élections... marginalisant les autres forces politiques et accordant toujours aussi peu de place aux citoyens.

David Mauger

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Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 157 - Avril 2007
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