Survie

Côte d’Ivoire. Menace sur la paix en Côte d’Ivoire

(mis en ligne le 1er juin 2007) - Sissulu Mandjou Sory

Le processus de paix en Côte d’Ivoire est fragilisé par le retour de la violence contre la société civile. Dernière manifestation en date : le pillage, en toute impunité, des bureaux de deux associations des Droits de l’Homme par un syndicat étudiant radical.

Dans une alerte publiée le 4 mai dernier (très peu relayée par la presse ivoirienne et internationale), Amnesty International émettait de « très vives inquiétudes quant à la portée de l’ordonnance signée le 12 avril par le chef de l’Etat, Laurent Gbagbo ». Elle prévoyait l’amnistie de la plupart des infractions commises dans le cadre du conflit qui a secoué la Côte d’Ivoire depuis septembre 2000. Une formulation si vague qu’elle n’exclut pas expressément les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité.

Les violences de ces derniers jours orchestrées par la FESCI (Fédération Estudiantine et Scolaire de Côte d’Ivoire) ravivent ces inquiétudes.

Les termes employés par Serge Koffi, Secrétaire Général de la FESCI, à l’issue de sa conférence de presse du lundi 21 mai sont très clairs : « il s’agit de créer une insécurité autour de tout ce qui touche ou fréquente la CNEC ». Aussitôt dit, aussitôt fait : une centaine d’étudiants prennent d’assaut et saccagent les sièges de la LIDHO (Ligue Ivoirienne des Droits de l’Homme) et de l’APDH (Action pour la Protection des Droits Humains).

C’est le soutien constant et assumé à la Coordination Nationale des Enseignants du Supérieur et des Chercheurs (CNEC) qui a valu à ces deux organisations un saccage en règle sous le regard impuissant des trois seuls policiers dépêchés sur les lieux. Bilan de l’expédition punitive : mobiliers cassés, matériel bureautique pillé, téléphones portables des deux secrétaires de la LIDHO dérobés.

A quelques mètres de là, Serge Koffi arrangue ses hommes au cours d’un meeting improvisé et donne la suite du programme : tous les établissements supérieur du privé d’Abidjan et de Grand Bassam seront fermés le lendemain (mardi 22 mai). «  Notre riposte sera multiforme et sans limites » avait déclaré, selon l’Intelligent d’Abidjan, le leader étudiant lors d’une conférence de presse le vendredi précédent (18 mai).

En parallèle à ces violences, on a entendu un autre son de cloche au sein de la FESCI. Le lundi 21 mai, pendant que Serge Koffi tenait sa conférence pour préparer sa « riposte multiforme et sans limites », quatre de ses plus proches collaborateurs du Bureau Exécutif organisaient un point de presse pour stigmatiser « les méthodes anti-démocratiques et violentes du Secrétaire Général ». Ils appelaient aussi les étudiants à faire le bon choix lors du congrès ordinaire de l’organisation estudiantine prévue pour ce mois de mai.

Cette furie « militante » du clan de Serge Koffi intervient deux jours après l’interdiction, par un groupe de « jeunes patriotes », d’un meeting de Sidiki Konaté, porte-parole des « Forces Nouvelles » (et actuel Ministre de l’Artisanat et du Tourisme) sur l’agora dénommée « la Sorbonne ». Selon certains quotidiens ivoiriens, ces actes sont le fait d’une fraction de la galaxie patriotique emmenée par Eugène Djué et Serge Koffi, décidée à saboter les accords issus du dialogue direct. Quelques jours plus tard, l’Ambassadeur de France, André Janier, recevait une délégation de « jeunes patriotes » venus lui demander d’intercéder auprès de l’ONU pour accélérer la levée des sanctions qui pèsent sur leur chef, Charles Blé Goudé. Il n’aurait pas été question d’Eugène Djué, pourtant lui aussi sous le coup des sanctions onusiennes. Quoiqu’il en soit, ce nouveau développement inquiétant de la situation vient rappeler la fragilité du processus de paix enclenché à Ouagadougou en mars dernier.

Les va-t-en-guerre de la FESCI interpellent au premier chef le président Laurent Gbagbo et son premier ministre Guillaume Soro. Ils doivent faire la preuve que l’accord de Ouaga n’est pas tout simplement un deal organisant la gestion du butin de guerre et du pouvoir entre deux cliques.

La CNEC a le droit de manifester et d’exposer ses revendications à ses autorités de tutelle. L’Etat ivoirien, qui dispose de centaines de millions de francs CFA pour désarmer les miliciens et les ex-rebelles, doit faire l’effort de trouver des solutions aux nombreuses questions sociales nées et/ou aggravées par la guerre. Les conditions de vie et de travail désastreuses des enseignants du supérieur et des chercheurs de Côte d’Ivoire en font partie. Il n’appartient pas à la FESCI, ni à aucun autre groupe de citoyens, de vouloir suppléer à la puissance publique pour (se) rendre justice.

La vraie sortie de crise et la démarche de réconciliation passeront obligatoirement par l’établissement de la vérité et de la justice sur tous les crimes commis par chaque camp ces cinq dernières années. Elle doit s’accompagner de la condamnation immédiate et de la fin des atteintes aux libertés individuelles et collectives.

Sissulu Mandjou Sory

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Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 159 - Juin 2007
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