Survie

Nouvelle-Calédonie. Une réforme camouflage ?

(mis en ligne le 1er juin 2007) - Marc Haus

Au terme de dissensions au sein de la majorité, le gel du corps électoral pour les élections des assemblées de province et du congrès local a été inscrit dans le marbre constitutionnel. Les personnes arrivées sur le « caillou » après 1998 ne pourront donc pas voter. Une réforme à la portée très relative, le véritable enjeu étant ailleurs.

Cette réforme, que les indépendantistes kanaks appelaient de leurs vœux, rend le fonctionnement des institutions de la Nouvelle-Calédonie plus fidèle à l’esprit des accords de Nouméa, n’en déplaise à ceux qui dénoncent, à des fins politiques, une restriction illégitime et contradictoire avec le droit de vote des étrangers non ressortissants de l’Union Européenne. Cette restriction se fonde en effet sur la « reconnaissance d’une citoyenneté de la Nouvelle-Calédonie » [1] . A cet égard, la Cour Européenne des Droits de l’Homme [2] (CEDH), abondant dans le sens du comité des droits de l’Homme des Nations-Unies considérant que « toute différenciation [induit par un corps restreint] ne constitue pas une discrimination, si elle est fondée sur des critères objectifs et raisonnables et si le but visé est légitime » et reconnaissant le processus d’autodétermination de la Nouvelle-Calédonie, estima que l’histoire et le statut de l’île justifiaient de telles restrictions. Voilà pour le principe. Si la durée de 10 ans de résidence qui prévalait au moment de ce jugement n’a été jugée ni excessive, ni de nature à entraîner des effets discriminatoires, rien n’indique qu’il n’en irait pas de même pour le nouveau critère, celui d’être résidant néo-calédonien depuis au moins 1998. La réforme n’a d’ailleurs jamais porté que là-dessus [3].

Mais le véritable enjeu pour la Nouvelle-Calédonie est ailleurs. Il s’agit de garantir la légitimité de ceux qui se prononceront sur le destin de l’île lors de la consultation [4] ponctuant le processus d’autodétermination (entre 2014 et 2019). A cet égard, la CEDH ne pouvait-elle pas préciser la nature de cette nécessité d’attaches territoriales suffisantes ? Ne s’agit-il pas avant tout de donner le droit à un peuple combattant le joug colonial depuis plus d’un siècle et demi – une lutte désormais reconnue par les Nations Unies [5] - de recouvrer sa liberté ? Les stratèges de l’exécutif français auront vite fait de rétorquer que cette position est simpliste, qu’on ne peut écarter du vote les descendants des colons, les résidents installés depuis des décennies, etc. Mais ne pourrait-on pas envisager un référendum ouvert aux seules populations kanak et garantissant, dans le même temps, aux résidents de longue date la possibilité de pouvoir rester sur l’île ? Ou même leur donner la double nationalité ? En réalité, il y a une multitude d’options que l’Etat refuse d’envisager afin de garder « le caillou » dans son giron. Difficile, en effet, d’abandonner une position stratégique dans le Pacifique sans oublier les richesses du sol néo-calédonien en nickel, cobalt, gaz et pétrole. Quant aux accords de Nouméa, la condition la plus souple pour prendre part au vote est de justifier d’au moins 20 ans de présence sur l’île fin 2013. Autrement dit, les jeux ont été faits de telle sorte que cette politique d’incitation à l’émigration sur l’île menée sur le très long terme [6] s’avère payante. Et de ce point de vue, gageons que l’Etat ait quelques informations sur la réalité démographique de l’île qu’il veut taire à tout prix. En visite sur l’île en juillet 2003, Jacques Chirac reporta en effet sine die un recensement qui permettait de cocher une origine ethnique, qualifiant ces questions « d’irresponsables et d’illégales ». Pourtant le décret du 5 juin 2003 [7] signé par Jean-Pierre Raffarin et validé par la CNIL [8] autorisait « la collecte et le traitement de données nominatives susceptibles de faire apparaître l’origine ethnique des personnes » pour les recensements en Nouvelle-Calédonie. Le 4 août, la Ligue des Droits de l’Homme observait quant à elle, à raison, que le recensement annulé n’était aucunement discriminatoire, qu’il aurait au contraire permis de mesurer la réalité coloniale et que refuser de prendre en compte la composition ethnique de l’île revenait à violer l’accord de Nouméa. Le boycott massif par les Kanaks du nouveau recensement, expurgé de toute considération ethnique, est donc compréhensible.

Finalement, cette réforme, si louable soit-elle, mais à l’incidence largement symbolique s’inscrit bien dans cette stratégie de l’Etat : permettre à l’exécutif d’endosser le bon rôle alors que le résultat d’une future consultation a toutes les chances d’être verrouillé.

Marc Haus

[1cf. accords de Nouméa signés en 1998 ; cette citoyenneté a vocation, en cas d’indépendance, à devenir une nationalité.

[2arrêt CEDH, 11.01.05, affaire PY c. France (le requérant, enseignant chercheur des universités et maître de conférence en droit privé, avait été affecté en Nouvelle-Calédonie en 1995 et contestait le refus qu’il s’était vu opposer à sa demande d’être inscrit sur la liste électorale spéciale pour les élections du congrès et des assemblées de province de 1999.

[3concernant les seules élections du congrès et des assemblées de province (les accords de Nouméa étant très ambigus à ce sujet) ; excepté la consultation finale pour l’accès à la souveraineté pour laquelle existe une autre liste électorale restreinte dont la composition ne fait pas débat, le corps électoral des autres élections – municipales, nationales, etc. – est de droit commun.

[4il est à noter que le régime juridique de la consultation diffère du régime référendaire en ce qu’il ne lie pas les autorités au résultat du vote.

[5Par la résolution de l’Assemblée Générale des Nations Unies 41/41A du 2 décembre 1986, la Nouvelle-Calédonie a été inscrite sur la liste des pays à décoloniser.

[6Voir à ce propos la lettre de Pierre Mesmer dans laquelle il assure qu’ « à long terme, la revendication nationaliste autochtone ne sera évitée que si les communautés non originaires du Pacifique représentent une masse démographique majoritaire » (Lettre de Pierre Mesmer, Premier ministre à Jean-François Deniau, secrétaire d’État aux DOM-TOM, 19.07.72) ; à noter également qu’à l’approche du referendum d’autodétermination devant se tenir en 1998 en vertu des accords de Matignon de 1988, les indépendantistes refusèrent la tenue de ce referendum jugeant que le gouvernement n’avait pas respecté sa parole, celle de permettre au peuple Kanak de redevenir majoritaire dans l’intervalle (voir l’interview de Rock Wamytan, signataire de l’accord de Nouméa et ex-président du Front de Libération National Kanak et Socialiste, du 11.07.01 - www.amnistia.net/news/articles/kanwamyt/kanwamyt.htm)

[7article 19 du décret n°2003-485 du 5 juin 2003 relatif au recensement de la population

[8Commission Nationale Informatique et Libertés

#GénocideDesTutsis 30 ans déjà
Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 159 - Juin 2007
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