Survie

Le temps des barbares

(mis en ligne le 1er juillet 2007) - Odile Tobner

On aimerait croire que la conférence dite du groupe de contact sur le Darfour, réunie à Paris par Nicolas Sarkozy, constitue une avancée sur le chemin de la paix au Soudan. Rien n’est moins sûr. On a assisté plutôt à une gesticulation de matamores : on va voir ce qu’on va voir ! Elle a commencé par une grosse bévue. Les actes manqués sont les plus éloquents. L’Union Africaine a appris l’existence de cette réunion par la presse et l’a donc boycottée. Comme d’habitude les Africains sont ceux qu’on ne consulte pas quand il s’agit de leur propre sort.

Le président français a déclaré prudemment que "la seule issue possible à la crise du Darfour est politique". Mais il y faudrait d’abord la volonté de tous les belligérants de mettre un terme à la violence. Sur cette terre désertique, grande comme la France, six millions d’habitants n’arrivent pas à subsister. Les bandes armées y font la loi pour s’emparer de misérables lambeaux de végétation. Un savant égyptien, Farouk El Baz, vient justement d’annoncer la présence d’un immense lac d’eau sous les sables de la partie nord du Darfour. Il suffirait de forer des puits artésiens pour fertiliser le pays et nourrir abondamment tous ses habitants.

Mais la malédiction du pétrole, que recèle également le sous-sol de cette région, par les convoitises étrangères qu’il attise, a fait de cette malheureuse région un enjeu international.

Ce qui n’a pas manqué d’y faire naître, au lieu de champs fertiles, la tragique escalade rébellion/répression avec la triste caractéristique des guerres d’aujourd’hui : le massacre de civils. L’autre conséquence désastreuse des combats est le déplacement massif de réfugiés regroupés dans des camps où ils ne peuvent subsister sans aide.

Le renoncement à la violence de la lutte armée n’est pas la soumission. Il faut rappeler les victoires que Gandhi, sur l’occupation coloniale de l’Inde, et Martin Luther King, sur la ségrégation raciste aux USA, ont remportées par leur détermination. Il faut relire les brefs essais, mais plus explosifs que des bombes, que sont le discours De la servitude volontaire d’Étienne de La Boëtie et l’opuscule sur La désobéissance civile de Henry David Thoreau pour apprendre qu’aucune tyrannie n’est invincible et qu’on ne se défait pas d’un maître pour se mettre sous la coupe de plusieurs.

L’inhumanité du despotisme, d’autant plus efficace qu’il se glisse dans les rouages anonymes des bureaucraties de l’ordre républicain, est sous nos yeux. Qu’une vieille femme soit arrachée manu militari au foyer de sa petite fille pour être boutée hors de France, qu’un jeune homme de vingt ans décède d’une crise cardiaque, selon les autorités, dans un car de police, c’est passé sous silence par une presse complaisante qui nous régale des footings du président. La vieille femme est centrafricaine, le jeune Français s’appelle Lamine Dieng, pas de quoi faire un flan.

Ces cas ne sont pas isolés. Les autorités françaises, dopées par les injonctions du ministre de l’intérieur Sarkozy, ont expulsé l’année dernière 25000 personnes, renvoyées au désespoir et à la mort lente auxquels elles avaient réussi à échapper. Un tel exploit a porté son auteur à la présidence et on fera certainement mieux cette année puisqu’un ministère tout entier va s’y atteler pour protéger l’identité française. Les immigrés, légaux ou non, ont de toute façon trop de famille. On va légiférer pour y mettre bon ordre. Et tout cela se fera très proprement.

Odile Tobner

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Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 160 - Juillet Aout 2007
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