Survie

LIRE. Une histoire pas si secrète…

(mis en ligne le 1er juillet 2007) - Victor Sègre

L’ouvrage collectif Histoire secrète de la Vème République, rédigé sous la direction de Roger Faligot et Jean Guisnel ne se démarque pas, sur quelques sujets sensibles, des versions officielles des autorités françaises. Sur quelques points importants au moins, son titre paraît usurpé.

Le volume se veut une synthèse des livres parus sur les sujets les plus sensibles liés à l’histoire de la Vème République. Il est composé d’une centaine d’articles, répartis en sept catégories : guerre d’Algérie, héritage colonial, questions nucléaires, diplomatie secrète, services secrets et raison d’Etat, finances et jeux d’influence, politique et réseaux occultes. On y trouve de nombreuses informations utiles, parfois inédites. Sans prétendre à une critique exhaustive, il faut toutefois remarquer qu’en ce qui concerne les questions liées au néocolonialisme français en Afrique, particulièrement sur les sujets les plus contemporains, l’ouvrage présente des erreurs et des lacunes que l’on a du mal à croire involontaires. Voici trois exemples significatifs.

La légion saute toujours sur Kolwezi

En 1978, la France, intervenait militairement au Zaïre (actuelle RDC) en soutien au dictateur Mobutu, contre les soldats du Front de Libération Nationale Congolaise (FLNC). D’après Mobutu et les militaires français, ces derniers auraient été encadrés par des instructeurs cubains et se seraient livrés à des massacres d’Européens. Le chapitre de Rémy Kauffer consacré à cet épisode ne retient que cette version, en dépit de la volonté affirmée en introduction du livre, de ne pas occulter les hypothèses différentes lorsqu’elles existent. Or la présence de Cubains a été à l’époque fortement mise en doute par plusieurs personnalités : David Owen, Secrétaire d’Etat britannique au Foreign Office ; Hodding Carter, porte-parole du département d’Etat américain ; ou encore le colonel français Cavarrot, chef du service d’information des armées, peu susceptibles d’être soupçonnés de sympathies pro-soviétiques. Plus grave, N’Guz Karl-I-Bond, ténor de la politique zaïroise, révéla en 1981, sans être démenti, que le massacre des Européens qui justifiait l’intervention militaire avait été commis sur ordre de Mobutu lui-même. La Belgique, pas dupe des motivations humanitaires de la France, l’accusa d’ailleurs publiquement de marcher sur ses plates bandes économiques, non sans raison, car quelques groupes hexagonaux furent grassement récompensés . [1]

Rwanda : le rideau de fumée habituel…

Le chapitre de Roger Faligot et Jean Guisnel, consacré au rôle joué par la France dans l’accomplissement du génocide des Tutsi au Rwanda, reconnaît a minima que « François Mitterrand a choisi de continuer à soutenir le régime de Juvénal Habyarimana qui préparait un génocide », sans préciser toutefois qu’il savait le génocide en préparation. Mais pour le reste, il s’agit surtout d’un laborieux plaidoyer en faveur de l’armée française « qui ne s’est guère défendue depuis plus de dix ans contre ce procès public. Pour ne pas jeter de l’huile sur le feu et ne pas raviver les plaies, sans doute (…) ». Défense de rire… Les livres de Verschave [2] et St Exupéry [3] y sont caricaturés et discrédités au motif (mensonger) que leurs auteurs auraient minimisés les crimes du FPR de Kagame. Sans en examiner aucune (le choix ne manque pourtant pas parmi les éléments réunis par la Commission d’Enquête Citoyenne, dont le rapport n’est pas cité en bibliographie, alors qu’y figurent les livres de Bernard Lugan ou Bernard Debré…), les auteurs décrètent que les preuves de la complicité militaire sont inexistantes. Ils se contentent, pour toute démonstration, de curieuses analyses sémantiques : le Commandement des Opérations Spéciales français ne saurait être impliqué puisqu’à la différence du « service action de la DGSE, qui opère clandestinement, le COS n’est en rien une formation secrète ».

Quant à la présence de Paul Barril au Rwanda pendant le génocide, elle « ne saurait être mise en relation avec une quelconque mission officielle française ». Pour un livre qui prétend traiter de l’Histoire « secrète », il est pour le moins étonnant de s’arrêter aux missions « officielles ». Les auteurs consacrent en revanche un long développement, très peu critique, à « l’enquête » de Pierre Péan qui « fait la démonstration que la vérité n’est pas aussi simple que veulent le faire accroire les partisans de Paul Kagame ». L’amalgame grossier entre les associations françaises qui demandent la vérité sur le dossier Rwandais et « les partisans » du FPR ainsi que les accusations de manipulation des unes par les autres, ne sont pas nouvelles. On en trouve la source chez ceux qui se considèrent toujours en guerre contre Kagame, même s’ils ne souhaitent pas, bien entendu, « jeter de l’huile sur le feu ».

Côte d’Ivoire : circulez…

Le chapitre, également écrit par Jean Guisnel, évoquant le massacre commis par l’armée française à Abidjan en novembre 2004 est également à décharge pour les autorités et l’armée françaises. Les circonstances qui ont conduit à cette fusillade délibérée sont pour le moins incomplète.

Ainsi il est dit que les mercenaires responsables du bombardement du cantonnement français « purent repartir sans anicroche soit par vols réguliers, soit par le Togo ». Il n’est pas précisé que c’est après être passé entre les mains de nos forces spéciales, et sur ordre des autorités françaises, qu’ils ne furent pas arrêtés !

Après la destruction de l’aviation ivoirienne ordonnée dans l’heure par Jacques Chirac, les manifestants ivoiriens se dirigent vers la base militaire française du 43ème BIMa, empruntant les ponts Charles de Gaulle et Houphouët Boigny qui y mènent. Selon Jean Guisnel, dans la nuit du 6 au 7 novembre, « des hélicoptères [français] survolent la foule, tirant de nuit pour effrayer les assaillants. » Le documentaire de Stéphane Haumant, Jérome Pin et Laurent Cassoulet diffusé (une seule fois, puis déprogrammé) dans l’émission 90 minutes de Canal +, atteste au contraire, images à l’appui, que les militaires français ont délibérément pris pour cible, à la mitrailleuse, les « assaillants » civils désarmés, y compris lorsqu’ils étaient isolés ou en voiture. La présentation du massacre à l’hôtel Ivoire pose également problème : au vu des images qui ont été tournées de la scène, et qui ont circulé depuis, on peut constater que les forces françaises ne « défendent » pas l’hôtel où se seraient « réfugiés nombre d’Européens ». Ce dernier ne contient en effet que les militaires français. En revanche leur stationnement près de la présidence ivoirienne a constitué une véritable provocation. Aucun mot non plus sur les différentes versions successives fournies par notre ministre de la Défense, ni sur le quasi black out médiatique en France.

Non seulement l’histoire secrète de ces événements n’est pas écrite, mais on en reste à un niveau très inférieur aux éléments d’information actuellement connus et divulgués par quelques médias. De la part de journalistes chevronnés et habitués des affaires liées à la raison d’Etat, voilà qui laisse perplexe…

Victor Sègre

[1Pour une présentation détaillée de ces événements, lire le Dossier Noir de Survie n° 9 : « France-Zaïre-Congo, 1960 – 1997 : Echec aux mercenaires »

[2Complicité de génocide ? La politique de la France au Rwanda, F.X. Verschave La Découverte (1994)

[3L’inavouable : la France au Rwanda, Patrick de Saint Exupéry, Les Arènes (2004)

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Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 160 - Juillet Aout 2007
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