Survie

Des labels privés pas vraiment verts

(mis en ligne le 1er septembre 2007) - Thierry Brugvin

Alors que Nicolas Sarkozy s’est dernièrement enthousiasmé pour la préservation de la forêt africaine, enjeu "essentiel" pour l’équilibre écologique du monde, le manque d’indépendance des sociétés d’éco-certification posent les limites de la régulation privée de l’exploitation forestière.

Les forêts tropicales, régressent d’environ 1% par an et pourraient même disparaître dans les 50 ans, selon les grandes associations écologistes [1]. Bien que l’éco-certification FSC (Forest stewarship council) soit une des plus réputées, il certifie des entreprises qui ne le méritent pas. Au Cameroun, certaines associations estiment que les forêts primaires auront disparu d’ici 2015 environ, si leur exploitation intensive se poursuit. Déjà le Moabi (un arbre sacré) a disparu [2] dans la région autour de Dimako (Cameroun), où la SFID (filiale de Rougier) l’exploite depuis 1993. Or, en février 2006, après la certification d’une concession forestière au sud du Cameroun exploitée par la société Wijma, l’ONG Forest people programme dénoncait la persistance des conflits entre celle-ci et les communautés locales. Des conflits portant sur les limites entre la concession et les forêts communautaires. Certains critères du référentiel FSC ne sont pas respectés, comme la fermeture des pistes sur les parcelles déjà exploitées pour prévenir le sciage sauvage. Du bois a été coupé et abandonné sur place ce qui s’assimile à de la coupe illégale. Wijma a minoré les volumes de bois exploités dans ses déclarations à l’administration. Le dernier rapport de l’ONG CED mentionne pourtant que ces deux infractions sont une pratique illégale en hausse et peuvent « causer des manques à gagner pour l’Etat camerounais de plusieurs centaines de millions de francs CFA par an ». Pour Samuel Nguiffo, secrétaire général de l’ONG camerounaise CED : « voilà bientôt un an que Wijma vend du bois avec le label FSC, alors qu’il ne le mérite pas » [3].

En 2000, les dirigeants de Bolloré se sont entretenus avec le WWF et Tropenbos (le programme néerlandais de recherche sur la forêt tropicale) afin d’obtenir une certification du Conseil de gestion durable des forêts (FSC) pour les concessions de la HFC et de la SIBAF [4]. Ainsi, en 2007, Bolloré Paper est devenu le premier et l’unique fabricant de papier mince certifié FSC au monde. Il est possible que cette gamme de papiers réponde effectivement aux normes du FSC, dans un secteur très circonscrit de l’exploitation des forêts. Cependant, au sein d’une même entreprise de production de papier, il paraît difficile de parvenir à différencier les grumes provenant d’une zone d’exploitation certifiée d’une autre qui ne l’est pas. Or, selon l’enquête de l’ONG britannique Global Witness (31 janvier 2003) [5], près de 60 % des coupes de bois dans le pays se font dans la plus grande illégalité. Parmi les entreprises impliquées, certaines sont françaises et appartiennent aux groupes Pasquet et Rougier.

Si la certification FSC de Bolloré n’est actuellement pas mise en cause, ses pratiques depuis de nombreuses années sont pourtant loin de respecter le développement durable. Ainsi, en dix ans seulement, le petit village de Kika est passé de 25 à 6000 habitants (WWF 20 juin 2000) après l’implantation d’une de ses filiales, la SIBAF. Cet afflux de travailleurs, venus d’autres régions du pays, a perturbé les peuples Baka et Bangando dont les territoires traditionnels se trouvent en partie sur la concession forestière de la SIBAF. La société HFC/Forestière de Campo (autre filiale de Bolloré), refuse aux villageois l’accès aux dépôts de déchets de bois alors même qu’ils ne sont pas valorisés. Ceux-ci brûlent en permanence avec les bidons en plastique de pesticides utilisés pour le traitement du bois. Au niveau social, l’exploitation des forêts oblige à des déplacements de population [6]. Des pratiques anciennes qui perdurent probablement dans d’autres concessions forestières. Ce qui nous fait dire que Bolloré s’achète une bonne image à peu de frais, même dans l’hypothèse où la filière de papier labellisée FSC serait réellement fiable. Bien que ce label soit considéré par le WWF ou Greenpeace comme étant le plus fiable, cette forme de régulation privée n’obtient pas non plus de résultats satisfaisants. Les limites des labels privés résident dans le fait que les référentiels sont souvent trop vagues. Il y a surtout un manque évident d’indépendance puisque ces sociétés d’audits sont payées par les entreprises qu’elles contrôlent.

Thierry Brugvin

[1AFP, 2004

[2Verhagen Herman & Enthoven Chris. Logging and conflicts in the rainforests of Cameroon. Friends of the Earth
Netherlands & Netherlands Committee for IUCN - The World Conservation Union. July 1993

[3[www.wwo.fr], 27/10/2006

[5NDW : voir aussi le deuxième rapport

#GénocideDesTutsis 30 ans déjà
Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 161 - Septembre 2007
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