Survie

Uri Inyambo Burundi

Le pourrissement politique fragilise, chaque jour un peu plus, l’accord de cessez-le-feu signé en 2006. Les rumeurs de coup d’État et un régime devenu autoritaire favorise le retour du spectre de la guerre.

(mis en ligne le 1er octobre 2007) - Vincent Munié

Longtemps le Burundi fut cité comme une anormalité africaine. En effet, le conflit qui y faisait rage depuis 1972 avait ceci de particulier qu’il était l’un des seuls en Afrique à ne dissimuler l’ombre d’aucune puissance étrangère. Ce petit pays, au coeur des Grands Lacs, était juste le réceptacle des scories des éruptions de violence des pays des alentours.

Ainsi, dans la foulée de la sous-région, le Burundi fut victime de l’ethnicisation de sa vie politique, dans les mêmes termes que le Rwanda, son voisin et cousin. Sur cette base, trente ans durant, les massacres, assassinats, batailles de rue, jalonnèrent le quotidien des Burundais, et les victimes se comptèrent par centaines de milliers. Cependant, la violence générale du pays fut ponctuée de périodes plus calmes, voire de sursauts démocratiques laissant à chaque fois espérer le retour définitif de la paix.

Fin d’une guerre de dix ans

Ainsi, en août 2005, des élections promues par une médiation internationale mirent fin à une guerre de plus de dix ans, celle éclatée en octobre 1993 à la suite de l’assassinat de Melchior Ndadaye, président démocratiquement élu six mois plus tôt. Deux partis ethnistes (CNDD-FDD et PALIPEHUTUFNL), proches du Hutu Power, étaient alors entrés en rébellion contre le pouvoir et l’armée majoritairement tutsi. Jusqu’en 2003 le pays fut en proie à une insécurité généralisée, 300 000 civils périrent dans les violences. À la surprise générale, C’est le CNDD-FDD qui remporta les élections de 2005, contre l’autre grand parti du pays le Frodebu (Parti hutu non rebelle, de M. Ndadaye). Peter Nkurunziza fut élu président de la république sur la base d’un programme de réconciliation nationale excluant toute mention ethnique.

De fait, depuis 2005, la vie politique burundaise a changé et n’oppose plus un parti hutu contre l’Uprona (parti Tutsi), mais deux partis hutu entre eux (Frodebu et CNDD). Cette réorganisation a été accompagnée d’alliances venant torpiller le dogme ethnique, puisque Peter Nkurunziza en bien des situations s’est fait l’allié de son voisin, Paul Kagamé. Toutefois, après la courte euphorie qui a suivi son accès au pouvoir, le président s’est retrouvé au centre d’une réalité bien contrastée. Car le pays souffre d’un sous-développement parmi les pires du monde, et ne dispose que de très peu d’atouts économiques. Chaque citoyen pouvait donc constater que, malgré quelques grandes annonces, la vie quotidienne et ses duretés restaient inchangées.

Intransigeance du Palipehutu FNL

Dans ce contexte, Peter Nkurunziza devait encore faire face à la négociation avec le Palipehutu FNL d’Agathon Rwaza, la plus ancienne rébellion hutu du pays, ayant refusé systématiquement tout cessez-le-feu jusquelà. Ce parti est aussi le plus engagé dans le combat ethnique. Ses dirigeants, au mépris de toute logique politique, ont délibérément refusé de s’inscrire dans le processus de dialogue du pays. Mais avec la victoire de leurs ex-alliés rebelles, le CNDD, le FNL se retrouvait dans une impasse. C’est pourquoi, Agathon Rwaza malgré son idéalisme mystique, signa en novembre 2006 un cessezle- feu avec le gouvernement. Mais le FNL est un mouvement pauvre, dont les combattants, peu nombreux et très peu disciplinés, confondent bien souvent leur activité avec un simple banditisme violent. L’accord de 2006 ne fut jamais appliqué, ni même dénoncé par une partie de la rébellion. Ainsi, le FNL se scinda en deux branches concurrentes. Parallèlement, Peter Nkurunziza devait faire face à son tour à l’explosion du CNDD et à la défiance de plus en plus violente du Frodebu condamnant son autoritarisme. Usant de méthodes policières ainsi que de l’assimilation de ses propres troupes (ex- FDD) au sein des forces nationales, le président imposa au pays un régime autoritaire qui fait l’objet d’une contestation grandissante des habitants. Dans ce contexte, où les rumeurs de coup d’état se succèdent, l’objectif des élections de 2010 apparaît encore assez flou. Car les négociations avec le FNL pour l’application du cessez-le-feu de 2006 patinent et viennent même de s’envenimer avec la soudaine disparition des négociateurs du FNL. Bien sûr, ceux-là ne peuvent espérer gagner un jour le pouvoir par la violence. Leur force est trop faible, et le mouvement est sous le coup d’une accusation internationale pour le massacre revendiqué de Gatumba en août 2003. Mais à la faveur de tout imprévu politique, la persistance de leurs actions (embuscades, vols de bétail, assassinats) leur assurerait une place à la table des négociations. Car la politique du continent tout entier, souvent favorisée dans ce sens par des médiations extérieures, s’est bâtie sur une culture de l’impunité. Peu importe à la communauté internationale que parmi les FNL se cachent d’ex-Interhaamwe, si un jour l’obtention de la paix exige de les pardonner, ils le seront. Mais de quelle paix parle-t-on ? Celle qui occasionne la satisfaction des gouvernants occidentaux, surtout heureux de se voir félicités pour la signature d’un accord, méprisant ainsi les profondes frustrations des peuples victimes, condamnés à se voir dirigés par les tortionnaires de leurs fils, de leurs parents au nom de la « stabilité du monde » ?

Enfin, il y a la pauvreté. Au Burundi, comme ailleurs, la misère est telle, que la confrontation à la réalité impose une évidence. Rien ne se réglera tant que la vie quotidienne sera encore et toujours une lutte. Peut-être moins violente qu’une rafale d’AK 47, mais tout aussi meurtrière, l’accumulation du chômage, de l’ennui, de la maladie, de la faim, transforme chaque journée en un combat pour la survie.

À Bujumbura, la guerre fut d’abord une lutte de pauvres. Or, le contexte économique n’a guère changé depuis trois ans, il a peutêtre même empiré. Parallèlement, la mission de maintien de la paix de l’ONU (ONUB) vient de s’achever, laissant le pays seul face à ses propres démons militaires. Ainsi, deux branches du FNL viennent-elles de se livrer bataille début septembre à Buterere, quartier du nord de Bujumbura, faisant 21 morts… Alors de jour en jour, insidieusement, comme une fatale répétition de l’histoire, le spectre du pourrissement politique laisse de nouveau « apparaître le pire, c’est-à-dire la guerre ».

Help wanted

Dans ce contexte, bien plus qu’une intervention armée, c’est d’argent, d’apurement de dette, de partenariats économiques et d’objectifs de gouvernance dont a besoin la nation burundaise. En la matière, si la France n’y fut jamais présente militairement, elle s’honorerait de susciter de l’aide pour ce petit pays oublié au seul nom du secours de sa population, et de l’urgence absolue consistant à ne pas laisser le Burundi retomber tout seul, dans SA guerre.

Vincent Munié

#GénocideDesTutsis 30 ans déjà
Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 162 - Octobre 2007
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