Survie

Sassou, Ntumi : les masques tombent

Comment le président congolais a nommé au poste de conseiller à la présidence, avec rang de ministre, un criminel de guerre notoire qu’il qualifiait, il n’y a pas si longtemps, « d’illuminé ».

(mis en ligne le 1er novembre 2007) - Benjamin Moutsila

Pour comprendre les soubresauts du
feuilleton Ntumi qui secouent périodiquement
les quartiers sud de
Brazzaville, il faut rappeler brièvement les
conditions de retour au pouvoir de Sassou, et
sa volonté de réduire au silence par tous les
moyens toute velléité d’opposition.
Le 17 octobre 1997, le général Sassou
Nguesso, battu aux élections de 1992 par
Pascal Lissouba, reconquiert le pouvoir
par la force à l’issue d’une guerre sanglante
menée par sa milice, les « cobras ».
La répression est sanglante pour les populations
du Sud originaire de la région
qui entoure Brazzaville, le Pool, considéré
également comme étant le siège de
la rébellion. Certaines figures de la françafrique
comme Jean-François Probst, qui
avaient prêté un concours actif au retour
de leur poulain Sassou, sabrent le champagne.

Un an plus tard, le 18 décembre 1998, les
miliciens « ninjas » attaquent Brazzaville.
Venus du Pool, leur objectif est officiellement
de renverser le régime putschiste
de Sassou Nguesso. À la tête de ces « rebelles
 », on découvre un inconnu qui se
fait appeler « pasteur Ntoumi ». Les miliciens
cobras de Sassou Nguesso, appuyés
par une coalition de soldats angolais,
tchadiens, de mercenaires, d’anciens de
la division spéciale présidentielle (DSP)
de Mobutu et de génocidaires hutus (ceux
qui l’avaient aidé à s’emparer du pouvoir
en 1997) vont se livrer à des massacres
sans précédent. Une boucherie à huis clos
que les plus optimistes chiffrent à près de
200 000 morts. Les miliciens « ninjas »
du pasteur Ntumi ne sont pas en reste. Ils
excelleront dans la destruction des biens
meubles et immeubles encore debout,
l’exécution d’individus suspectés d’hostilité
ou de tiédeur à leur égard, pis, de complicité
avec les « cobras ». Les populations
prises en sandwich entre les miliciens de
Sassou et ceux de Ntumi ne doivent leur
salut qu’à la fuite dans les forêts ou au
Congo voisin. Beaucoup y laisseront la
vie, morts de maladie et de faim.

C’est aujourd’hui un secret de polichinelle
que le pasteur Ntumi n’était rien d’autre
qu’une création de Sassou, pour consolider
son pouvoir en instaurant l’instabilité
dans l’arrière-pays brazzavillois, perçu
comme une région hostile. Originaire du
nord du pays, Sassou Nguesso (comme
tous les principaux dirigeants du régime)
vit dans une ville dominée par les ressortissants
du Sud. De ce fait, le nouveau
pouvoir est convaincu que le Pool est susceptible
d’abriter une guérilla capable de
lancer contre son régime des opérations de
déstabilisation. Pour prévenir ce scénario
catastrophe, Sassou va donc s’employer à
instaurer l’instabilité permanente dans la
région en initiant une véritable politique
de la terre brûlée. La mission confiée à
Ntumi est simple : offrir aux militaires de
Sassou les raisons d’organiser des expéditions
punitives dans la région du Pool
sous prétexte de pourchasser des rebelles.
Le pasteur va faire merveille en y semant
la terreur pendant près de cinq ans au
même titre que les miliciens et soldats de
Sassou. Ces deux parties officiellement
opposées ne s’affronteront qu’à de très
rares occasions. Le partage de rôles fonctionne
parfaitement.

Neutralisation par la promotion

Alors que réapparaissent enfin au grand
jour le drame du Pool et les exactions
commises, le cas Ntumi (et le calvaire des
populations du Pool qui lui est associé) devient
pour Sassou une épine dans le pied
dont il ne sait plus comment se débarrasser.
Les temps ont heureusement changé.
L’éliminer physiquement (comme il le fit
jadis avec le capitaine Anga sans avoir à
s’expliquer) ne ferait que renforcer son
image de dictateur sanguinaire. Le tolérer
accréditerait la thèse de ceux qui prétendent
que Ntumi est sa marionnette. La
seule porte de sortie qui s’offre à lui, c’est
une forme de paix des braves. Ntumi rend
les armes et Sassou, grand seigneur, passe
l’éponge sur ses crimes.

Mais Ntumi ne l’entend pas de cette oreille.
Il a grandi et se voit désormais dans la
peau d’un vrai chef. Il exige de Sassou un
vrai partenariat politique. En résumé, de
simple supplétif, il exige un statut d’allié.
Ce qui est très gênant pour Sassou. Les
pressions « amicales », notamment américaines,
conjuguées à celles du Vatican et
du représentant de l’Union Européenne,
lui feront entendre raison. Denis Sassou
Nguesso consent à lui accorder un poste
de conseiller à la présidence avec rang de
ministre. Après avoir longuement hésité,
Ntumi finit par accepter. Une aubaine pour
cet homme parti de rien et subitement propulsé
au rang de ministre. Le scénario est
idéal sur le papier car ni Sassou ni Ntumi
n’en sortent véritablement perdants. En
lui accordant un poste en rapport avec
son pedigree, « délégué général auprès du
président de la République, chargé de la
promotion des valeurs de paix et de la réparation
des séquelles de guerre », Sassou
neutralise un homme qui aura bien du mal
à jouer les opposants alors qu’il dépend
financièrement de lui. Il croit ainsi avoir
sauvé son image d’homme de paix. Quant
à Ntumi, de plus en plus isolé, il sait que
le temps joue contre lui. En intégrant le
jeu politique, il pense acquérir une stature
d’homme politique de premier plan susceptible
de jouer un rôle important sur la
scène politique, et auprès de ses compatriotes
du Pool en particulier. Les fonds
qu’il espère obtenir du régime y aideront
largement. Il reste qu’il n’a pas totalement
confiance en Sassou. Il veut rentrer dans
les rangs, mais en conservant sa capacité
de nuisance, c’est-à-dire sa milice, qu’il
ne fait même pas semblant de dissoudre.
La petite marionnette veut jouer sa propre
partition en monnayant son ralliement au
pouvoir au prix fort, en continuant à faire
croire qu’il est un homme libre, qui maîtrise
son destin, et non un mercenaire au
service du pouvoir. D’où son insistance à
réclamer des garanties de sécurité maximum
pour sa modeste personne. À ce
jour, le pouvoir lui propose une garde de
30 soldats, prélevés parmi ses partisans, et
une résidence hyper-protégée.

Épreuve de force

Les choses sont pourtant loin d’être simples.
Le haut commandement militaire,
aux mains des chefs « cobras », ne voit
pas d’un bon oeil la promotion de Ntumi
alors que, pour la plupart impliqués dans
l’affaire des disparus du Beach, ils passent
pour des pestiférés et doivent vivre
cachés. Aucun d’eux ne figure d’ailleurs
au gouvernement. Le retour impromptu
de Ntumi à Brazzaville, escorté de milliers
d’hommes en armes, et en l’absence
de Sassou, va être l’occasion, pour ces généraux
frustrés de montrer que sans eux, il
n’est rien. Dans ce contexte, Ntumi, sans le
savoir, devient la victime d’un bras de fer
sourd qui se joue entre les différents clans
« cobras » à la tête du pays. Il faut dire que
son arrivée dans la ville a créé la panique
dans un gouvernement incapable de gérer
une situation lui échappant totalement. Isidore
Mvouba, le chef du gouvernement,
montre rapidement ses limites. Les généraux
de l’affaire du Beach entrent en scène
et imposent leur loi. Ntumi doit retourner
dans son maquis du Pool. Des hélicoptères
de combat appuient la démonstration
de force engagée par les militaires. L’opération
se soldera par deux morts selon les
militaires et quinze, selon le pasteur Ntumi.
Sassou n’y trouvera rien à redire et se
contentera d’exiger du pasteur Ntumi qu’il
revienne occuper ses fonctions impérativement
au plus tard le 31 décembre de cette
année. Son retour devant naturellement
s’effectuer sans son immense escorte armée,
un plan étant mis en place pour occuper
ses 5 000 combattants.

Le vernis craque

Ce que l’entrée ratée de Ntumi à Brazzaville,
le 10 septembre dernier, aura mis
en évidence, c’est le caractère profondément
militaire du régime de Sassou.
Toute la propagande sur la démocratie
apaisée, les élections, la liberté (surveillée)
de la presse ne sont qu’un vernis
qui craque très vite à la moindre contradiction.
Nous l’avons vu lors de la crise
interne du Parti congolais du travail entre
les « rénovateurs », fidèles de Sassou et
actuels grands profiteurs du régime d’un
côté, et de l’autre, les « conservateurs »
ou les anciens barons écartés des bienfaits
du pouvoir. Sassou n’a pas hésité à
faire appel au haut commandement militaire
pour ramener l’ordre dans les rangs
de son parti, sous le prétexte fallacieux
de préserver la paix civile.

Denis Sassou Nguesso n’est pas à une
contradiction près. Ainsi, n’hésite-t-il
pas à nommer comme conseiller, celui
qu’il qualifiait « d’illuminé » il n’y a pas
si longtemps. Il est à l’image de la classe
politique congolaise prête à toutes les
compromissions pour se hisser jusqu’à la
mangeoire nationale. Le pasteur Ntumi
n’en est qu’un exemple de plus. Dans ces
conditions, le régime a encore de beaux
jours devant lui, pour le plus grand bonheur
des réseaux affairistes et mafieux
françafricains.

Benjamin Moutsila (Fédération des
Congolais de la diaspora-FCD)

#GénocideDesTutsis 30 ans déjà
Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 163 - Novembre 2007
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