Survie

Thomas Sankara, au bon souvenir de Blaise Compaoré

Véritable affront pour le régime de Blaise Compaoré, les commémorations non officielles autour de l’assassinat de Thomas Sankara ont été un immense succès populaire.

(mis en ligne le 1er novembre 2007) - Rémy Rivière

Bon élève de la Banque mondiale et
du FMI, le président Blaise Compaoré
règne paisiblement dans le précarré
de la France depuis vingt ans. Sa démocratie
est, paraît-il, exemplaire et si son pays a
une réputation tenace de tranquillité, la réalité
de son peuple est tout autre. Ce 15 octobre,
la célébration officielle des « Vingt ans de la
renaissance démocratique
 » n’a pas été la fête
populaire escomptée. À l’image des élections,
les manifestations populaires n’attiraient du
monde que parce que le régime distribuait à la
pelle des tee-shirts, ou des bons d’essence.

Demos Kratei

Dans les sal ons feutrés du pouvoir, on déclinait
le mot démocratie comme les Grecs d’antan.
Demos Kratei au nominatif, le pouvoir du
peuple. « Démocrature » à l’accusatif selon la
nouvelle rhétorique désignant ces dictatures
au vernis démocratique. On a même reconnu
l’acteur Richard Bohringer, président du festival
panafricain de Ouagadougou (Fespaco),
louer, plein d’emphase, aux côtés de Guy
Penne, la démocratie de Blaise Compaoré. Et
pendant que les bons sentiments se mêlaient
idéalement au champagne, la rue avait le poing
levé pour commémorer le vingtième anniversaire
de l’assassinat de Thomas Sankara. Une
affluence qui a pris tout le monde de court et
qui est due en partie à l’arrivée à Ouagadougou,
de Mariam Sankara, veuve de celui qui
dirigea le pays de 1983 à 1987, de retour dans
son pays pour la première fois depuis vingt
ans. Paradoxe : pendant que le pouvoir célèbre
la démocratie, le « pouvoir du peuple »,
des milliers de personnes demandaient justice
pour l’assassinat de “Tom Sank” perpétré par
l’actuel président Blaise Compaoré.

Le Burkina n’est pas à une contradiction
près et cette tentative de réappropriation n’est
qu’un symptôme de la lutte politique qui agite
le pays depuis vingt ans et cristallise les passions
autour de la mémoire d’un chef d’État
singulier, symbole d’intégrité, dont l’exemple
continue d’animer la vie politique du pays.

Consortium de Ouaga

La valeur de Thomas Sankara peut se mesurer
aux moyens qui ont été mis en oeuvre pour
l’abattre. François-Xavier Verschave, le premier,
a montré du doigt le « Consortium de
Ouaga
 », « groupe d’intérêt politico-mafieux »
qui, dès la mort de Sankara, via des ramifications
en Libye et au Libéria, a embrasé l’Afrique
de l’Ouest. Un passé que Blaise Compaoré
voudrait bien oublier aujourd’hui. Impliqué
dans les conflits du Libéria, de Sierra Léone,
de Côte d’Ivoire, ce pompier pyromane ne désespère
pas de recevoir un jour le prix Nobel
de la paix. Mais si, aujourd’hui, le président
du Faso reconnaît publiquement avoir soutenu
Charles Taylor, « comme beaucoup de monde
à l’époque
 » dit-il et « pour renverser le dictateur
Samuel Doe
 », son image d’assassin de
Sankara reste sans doute la plus gênante. Fort
de ses soutiens internationaux, notamment
de la France, Compaoré semble intouchable.
Même un rapport de l’Union européenne, établissant
un trafic de diamants pour financer Al
Qaeda via Ouagadougou et rendu public par le
New York Times, n’a pas eu raison de cette insolente
reconnaissance. Mais cette vigueur du
sankarisme, vingt ans après, parvient pourtant
à effriter cette image de souriant démocrate, à
l’intérieur du pays et bien au-delà de ses frontières.

Une mémoire toujours vivace

Thomas Sankara reste plus que jamais dans le
coeur des Burkinabè comme ce jeune capitaine
qui voulait « oser inventer l’avenir ». En atteste
l’engouement des manifestations autour
du 15 octobre à Ouagadougou. En atteste la
vigueur des partis sankaristes, qui pour l’occasion
ont annoncé leur volonté d’union dans
la perspective de devenir la première force
d’opposition du pays. Altermondialiste avant
l’heure, Thomas Sankara fait aussi des émules
dans tout le continent. Contre une mémoire
longtemps confisquée par le pouvoir et la tentation
de marquer le 15 octobre d’une autre
empreinte, cette commémoration des vingt
ans de l’assassinat de Thomas Sankara reflète
toute la vigueur et la modernité d’une pensée
qui continue de faire l’actualité en nourrissant
la réflexion sur l’annulation de la dette des pays
africains, la lutte contre le néocolonialisme et
la corruption, la moralisation de l’administration,
la promotion des femmes et des jeunes,
la santé, la scolarisation… Autant de dossiers
sur lesquels le Burkina Faso n’a pas avancé en
vingt ans. Et si l’on peut parler de développement
durant ces deux décennies, c’est surtout
celui de la corruption qui saute aux yeux en
parcourant les statistiques du pays. À l’issue
des quatre jours de travail, les participants au
symposium international Thomas Sankara ont
indiqué vouloir « poser les jalons de la conceptualisation
du Sankarisme
 ». Plusieurs motions
ont été déposées, sur l’éveil de la conscience
de la jeunesse et la condamnation de la Françafrique.
Les recommandations portent sur
l’élaboration d’un code d’éthique sankariste,
l’unité des Sankaristes, la mise en place
d’un comité international de rédaction de la
conceptualisation du Sankarisme, la poursuite
du travail enclenché par le comité national
d’organisation et les différents clubs Thomas
Sankara au-delà de la commémoration du xxe
anniversaire et enfin, une promotion véritable
des femmes dans un esprit d’équité.

Au Burkina, cette édition historique de la
commémoration de l’assassinat de Sankara a
également marqué le retour d’une parole longtemps
réprimée dans un enthousiasme qui a
même surpris les organisateurs. Sous le vernis
de la télévision d’État et sa vision scotomisée
du réel, pendant que les élites du peuple en
appelaient au « développement » comme si,
depuis vingt ans, il suffisait de l’appeler, la rue
scandait les slogans de la Révolution dans une
ferveur presque libératrice : « Les assassins au
poteau
 », « le pouvoir au peuple », « justice
pour le peuple
 » ou « Compaoré assassin ».
Mariam Sankara ne disait pas autre chose en
affirmant, à Ouagadougou, dix ans après avoir
déposé une plainte contre X pour l’assassinat
de son mari, que « tôt ou tard, la justice finira
par aboutir car la vérité finit toujours par
triompher
 ».

Un optimisme qui se nourrit notamment d’une
décision du comité des Droits de l’homme
de l’ONU, qui a condamné en 2006 le Burkina
pour « traitement inhumain » à l’égard
de la famille Sankara, l’invitant à respecter
les recommandations de sa charte des Droits
fondamentaux et à organiser le procès de cet
assassinat. Une question de « réconcilation nationale
 » pour Mariam Sankara qui « veut bien
pardonner à condition de savoir ce qu’il y a à
pardonner
 ».

Rémy Rivière

#GénocideDesTutsis 30 ans déjà
Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 163 - Novembre 2007
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