Survie

Opération Turquoise : trois points de suspension

Le film consacré à l’opération Turquoise, diffusé dernièrement par Canal Plus, est-il sans compromis ? La chaîne cryptée sort toutefois des rails de la version offi cielle et ouvre largement la porte à une implication française « inavouable »…

(mis en ligne le 1er décembre 2007) - Vincent Munié

Dans le petit monde de ceux qui s’intéressent
au rôle de la France dans le
génocide des Tutsis du Rwanda, la
diffusion le 19 novembre, du téléfi lm d’Alain
Tasma, « Opération Turquoise » pourrait
marquer le début d’une nouvelle séquence,
vers la vérité cette fois. Voilà, enfi n, une oeuvre
de fi ction française qui se penche, avec
un gros budget, sur le génocide. Une oeuvre
diffusée, qui plus est, sur une chaîne de
grande renommée. Canal Plus, dans le cadre
d’une série de productions « choc » a très tôt
manifesté l’ambition de poser « de vraies interrogations
sur Turquoise ». Nul besoin de
revenir sur la genèse du fi lm, les journaux
télé conviés durant le tournage au printemps
au Rwanda en ont largement fait l’écho, en
des termes sensiblement différents que par le
passé. De fait, il faut largement saluer l’initiative,
qui enfi n donne écho à ceux qui, depuis
treize ans, interpellent, en vain, l’opinion publique,
les médias, la justice et les instances
politiques. Oui, la France s’est vautrée dans
l’ignoble il y a treize ans.

Le film d’Alain Tasma s’appuie donc sur
le témoignage du journaliste du Figaro,
Patrick de Saint-Exupéry, et tente de
donner un autre éclairage sur l’opération
Turquoise, offi ciellement célébrée par le
gouvernement comme la seule action entreprise
pour le secours des Rwandais. La
réalité fut tout autre.

Le téléfilm, en retraçant l’arrivée des troupes
françaises de Turquoise à Bisesero,
montagne à l’extrême ouest du Rwanda
en bordure du lac Kivu qui fut l’un des
innombrables champs de morts, nous le
montre assez clairement.

Les personnages mis en scène sont donc
tous bien « réels » – en particulier le lieutenant
colonel Duval et le capitaine de
frégate Marin Gillier – et la chronologie
des événements respectés. Même si la
thèse retenue, celle du quiproquo et de
la désorganisation, (Marin Gillier tombe
sur les survivants par hasard) est la plus
indulgente, elle n’en illustre pas moins
l’énorme contradiction de l’opération qui
conduit une armée à se retrouver aux côtés
de ses anciens alliés devenus génocidaires.
Cependant, la compréhension du
scandale de Turquoise et des affaires de
Niarushishi, Bisesero, de la fuite et de la
protection des forces armées rwandaises
(FAR), ministres et Interahamwe vers la
région congolaise du Kivu – pour révélées
qu’elles soient–, exigent une connaissance
de l’histoire du génocide et du rôle
de la France au Rwanda depuis 1990.
C’est là que le scénario révèle ses limites
car il faut bien le reconnaître, malgré
la somme d’informations déballées parfois
maladroitement dans les dialogues,
qui nuisent quelque peu à l’effi cacité cinématographique
du récit, le spectateur
néophyte risque de manquer de repères
sur le contexte même de l’intervention.
De fait, on le sent bien, Alain Tasma
s’est appliqué à s’engouffrer dans le
goulet ouvert par la liberté de propos
« exigé » la chaîne et a cherché à placer
dans son film un maximum d’éléments
informatifs.

Il reste tout de même dans « Opération
Turquoise », un vrai choc, et la suggestion
d’une responsabilité générale de la politique
française au Rwanda. Dans le même
temps, le choix de se consacrer à un événement
ponctuel et limité dans le temps,
empêche de mettre en cause, en des termes
clairs, les véritables maîtres d’oeuvre
de la complicité de Paris avec Kigali.

À l’occasion de sa seconde diffusion, prochainement
sur France 2, il faut espérer
que l’impact d’« Opération Turquoise »
dans les médias sera supérieur à l’accueil
réservé, le19 novembre, en pleine grève
des transports. Le fi lm aurait alors réussi
son objectif : susciter un émoi capable de
relancer l’examen de la politique française
au Rwanda et en Afrique et de mettre fin
à l’omerta entourant l’un des plus grands
scandales de la République.

Vincent Munié

#GénocideDesTutsis 30 ans déjà
Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 164 - Décembre 2007
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