Survie

Les affaires d’abord

Après deux mois de tension, Paris et Djibouti opèrent un rapprochement après la visite à Paris d’Ismaël Omar Guelleh.

(mis en ligne le 1er janvier 2008) - Jean-Loup Schaal

La réception à l’Élysée, le 19 juin dernier, d’Élisabeth Borrel, les derniers développements de l’instruction et surtout le renvoi pour subornation de témoins de Hassan Saïd (patron des services secrets, le SDS) et de Djama Souleiman, procureur général de Djibouti, devant la justice pénale a provoqué deux mois de fortes tensions entre la France et Djibouti. Le régime d’Ismaël Omar Guelleh avait alors orchestré une vaste campagne anti-française.

Des manifestations « spontanées » ont été organisées, les 20 et 21 octobre derniers, à Djibouti-Ville et dans plusieurs villes du pays (voir Billets d’Afrique, n°163, novembre 2007). D’après les observateurs, il s’agissait surtout de fonctionnaires contraints de défiler et la population, dans sa grande majorité, ne s’est pas mêlée aux cortèges.

Deux figures françaises ayant exercé des responsabilités de premier plan à Djibouti, ont été également renvoyées devant la justice djiboutienne pour des accusations calomnieuses de pédophilie. Chantage ou monnaie d’échange pour tenter de faire annuler le procès d’Hassan Saïd et de Djama Souleiman devant le tribunal correctionnel de Versailles ? (le procès se tiendra début mars à Versailles, en l’absence des accusés).

Rappelons également qu’un Français, Christian Georges, est toujours incarcéré à Gabode (Billets d’Afrique n°159, juin 2007) et que la France ne lui apporte aucun soutien et n’a entrepris aucune démarche pour le faire libérer. Son crime ? Avoir affirmé qu’il détenait des informations précises pouvant éclairer l’instruction dans l’assassinat du juge Borrel.

Enfin, pour tenter de faire taire un témoin capital, le régime a banni le 23 octobre, au Yémen, sept membres de la famille de Mohamed Alhoumekani, ancien responsable de la sécurité du palais présidentiel, réfugié en Belgique, dont le témoignage avait permis de relancer l’instruction de l’affaire Borrel. Ce bannissement a été dénoncé par l’ensemble des organisations djiboutiennes d’opposition. Aujourd’hui, ces sept personnes, dont la mère âgée de 78 ans, sont toujours au Yémen. Le régime a pris soin de maintenir « en otage » les femmes et les enfants qui sont séparés des pères.

Business as usual

Dans ce contexte difficile, les autorités françaises sont restées étrangement muettes. Pas tout à fait cependant … car l’ambassadeur de France à Djibouti remettait à Ismaël Omar Guelleh une lettre personnelle de Nicolas Sarkozy, assortie d’une invitation à venir le rencontrer officiellement à Paris. Visite du 10 au 12 décembre, pratiquement passée inaperçue, en pleine visite de Mouammar Kadhafi. Selon certaines sources, l’entretien prévu aurait été écourté par Nicolas Sarkozy. Le président français aurait indiqué à son interlocuteur que la justice française était indépendante et qu’il n’avait aucune influence.

Ce qui n’a pas empêché Omar Guelleh de déclarer au Figaro.fr : « J’ai dit au président Nicolas Sarkozy que la justice française n’est pas indépendante ». « M. Sarkozy souhaite que les relations entre nos deux États ne soient pas court-circuitées par cette affaire (...) Je suis d’accord avec ce point de vue », a encore déclaré Omar Guelleh.

En fait de relations, il s’agit surtout de relations économiques et militaires. Nicolas Sarkozy ne s’en cache d’ailleurs pas en souhaitant relancer la coopération économique. On fait bien affaire avec le guide libyen ! Paris va aussi accroître sa coopération militaire en formant des officiers, à Atar. Invité à se rendre à Djibouti, il aurait immédiatement accepté en précisant que « le plus tôt sera le mieux ». On parle de février.

À noter qu’Omar Guelleh était accompagné de plusieurs hommes d’affaires français présents depuis longtemps à Djibouti, André Massida (Massida Transit), Luc Marill (Comptoirs, commerce), le docteur Dell’Aquilla (président de l’association des français résidents à Djibouti) et l’avocat de la présidence, Me Alain Martinet. Le lendemain, Omar Guelleh rencontrait le Medef International. Seules une dizaine d’entreprise étaient présentées parmi lesquelles 2 LCMaintenance (ingénierie dans les boissons alimentaires), Bidim Geosynthétic (travaux publics), Bolloré, Colas, Crédit agricole, Essilor International SA (industrie du verre), Gras Savoye (courtier en assurances), Lafarge, Sade (eau et assainissement) et (Vinci constructions grands projets).

Jean-Loup Schaal

Arnaques et opacité

Jean-Paul Noël Abdi, le président de la ligue djiboutienne des Droits de l’homme (LDDH) a de nouveau été incarcéré pendant quarante-huit heures. Il avait publié un article sur la nécessaire transparence lors des prochaines élections qui se dérouleront en début d’année et sur l’espace minimal qui doit être réservé aux formations d’opposition.
Le régime s’attaque également au portefeuille. En effet, les partis politiques se présentant aux élections doivent déposer une caution, qui, en principe, est restituée s’ils obtiennent un score de plus de 5 %. Les partis djiboutiens qui avaient participé aux dernières élections ont été escroqués par l’État : ils n’ont jamais été remboursés…

#GénocideDesTutsis 30 ans déjà
Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 165 - Janvier 2008
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