Survie

La stratégie de l’araignée

(mis en ligne le 1er janvier 2008) - Odile Tobner

Le trop célèbre capitaine Barril, qui s’est miraculeusement tiré sans grand dommage d’affaires d’État où il avait joué, de notoriété publique, un rôle non négligeable (affaire des Irlandais de Vincennes,affaire des écoutes de l’Élysée) vient de tomber comme un vulgaire truand.

Après quatre jours de garde à vue, Paul Barril a été mis en examen et placé en détention à Marseille le 24 décembre dernier pour « association de malfaiteurs en vue de la commission d’extorsion en bande organisée, en vue de commission d’assassinat et en vue de commission de corruption », dans le cadre de l’affaire du cercle de jeux parisien Concorde. Rien que cela.

Cette affaire, où se côtoient la finance prédatrice et le grand banditisme révèle les agissements de toute une faune pittoresque : du paisible retraité, Roland Cassonne qui, dans sa somptueuse propriété provençale, tond sa pelouse avec un gilet pare-balle et un pistolet chargé à la ceinture, au monsieur sans histoire, Marcel Ciappa, hospitalisé pour une fracture, exécuté par deux faux médecins, en passant par le banquier suisse, François Rouge – cela ne s’invente pas – acquéreur de la banque de la loge P2, l’ex-gendarme hâbleur du GIGN, vedette des médias, Paul Barril soi-même et enfin le cerveau, directeur artistique d’établissements de jeux et de restauration, Paul Lantieri, en fuite. Rajoutons la fusillade contre des caïds arabes dans un bar marseillais et d’autres ingrédients dont on trouverait l’accumulation caricaturale dans un scénario. La réalité dépasse la fiction et l’on n’est pas au bout des surprises et des rebondissements.

La vogue actuelle du poker, lancée par des vedettes des médias, a accru les convoitises sur les dix cercles de jeux installés dans la capitale. Le « Cercle pour la communication et les relations humaines » – puisque les cercles de jeux, conventionnellement, sont des associations à but non lucratif et à objet de bienfaisance –, dit « Cercle Concorde » est la nouvelle appellation du « Cercle républicain  » fondé en 1907. Celui-ci, fermé en 1987, a déposé, en novembre 2004, une première demande de réouverture, refusée par le ministre de l’Intérieur Dominique de Villepin. Ce n’est que partie remise et le 19 juillet 2005 un arrêté du ministre de l’Intérieur, Nicolas Sarkozy, autorise le Cercle Concorde à ouvrir un espace de jeux de hasard au 14 de la rue Cadet à Paris. Les policiers, connaissant le pedigree de certains animateurs de l’entreprise, n’en sont pas revenus.

Cette décision fera le bonheur du propriétaire des lieux, la Société anonyme immobilière parisienne de la perle et des pierres précieuses (SAIP), filiale de Eau et Électricité de Madagascar (EEM), qui a des intérêts également dans la Société française des casinos (SFC). En effet, après avoir loué en septembre 2005 son immeuble de la rue Cadet, inoccupé depuis plusieurs années, au Cercle Concorde, et après que d’importants travaux ont été effectués en échange d’un an de loyer, la SAIP vend l’immeuble, le 25 octobre 2006, pour 7,6 millions d’euros, dégageant une coquette plus-value. Le PDG de EEM n’est autre que François Gontier qui de trader à succès est devenu un redoutable raider. Il est, comme Nicolas Sarkozy, partie civile dans l’affaire Clearstream, étant cité dans les fameux listings. Ses témoignages chargent M. de Villepin en le présentant comme protecteur d’Imad Lahoud, mis en examen pour falsification des dits listings.

Arrestations et mises en examen retentissantes

Mais revenons au Cercle Concorde. Tout se gâte dans cette juteuse entreprise début 2007 quand le directeur artistique, gérant de fait du Cercle, Paul Lantiéri, se trouve inculpé de recel et association de malfaiteurs mais laissé en liberté par le juge, ce qui étonne à nouveau les policiers, dans l’affaire du bar des Marronniers à Marseille. Il aurait aidé un des assaillants, blessé dans la fusillade, à se faire soigner. Les policiers, après une première perquisition dans les locaux du Cercle Concorde, vont mener une enquête sur sa gestion qui aboutit, fin 2007 à la fermeture de l’établissement et à une douzaine d’arrestations et mises en examen retentissantes, dont celle de Paul Barril.

Paul Lantiéri, lui, n’a pas attendu et a disparu dans la nature. Tout ce dérangement viendrait d’une lutte de clans pour le contrôle du Cercle Concorde entre l’ancien dirigeant Edmond Raffali et le nouveau, Paul Lantiéri. Le premier l’aurait emporté sur le second, qui aurait appelé Paul Barril à son secours. Edmond Raffali apparut naguère dans une actualité de mauvais aloi quand il fut poursuivi, et relaxé faute de preuve, sous le soupçon d’avoir porté à Yves Chalier, chef de cabinet du ministre socialiste de la Coopération Christian Nucci, le vrai-faux passeport fabriqué par les services français. Vrai-faux passeport qui lui permettait d’échapper à la justice française pour gagner le Brésil où il fut logé dans un appartement appartenant à Jules Filippeddu, autre notable proche des acteurs de l’affaire du Cercle concorde.

Il fut établi à l’époque que le passeport fut bel et bien commandé par Charles Pasqua en personne, alors ministre de l’Intérieur. Le contrôleur général Jacques Delebois porta le chapeau et, révoqué de la police nationale, poursuivit une très lucrative carrière au service de présidents afri-cains. Il est aujourd’hui un des membres de l’équipe de l’agence « Protection totale engineering group », basée à Genève où il est chargé de la « chasse aux espions industriels en Europe et la mise en place de réseaux d’information et de renseignement pour le compte d’États africains de façon à promouvoir la stabilité politique » (en clair neutraliser les opposants).

À force de promouvoir la stabilité politique en Afrique, les anciens militaires ou policiers français peuvent se retrouver, comme Paul Barril, conseiller du régime d’Habyarimana, qui finit en génocide. En tout cas, le lien révélé entre Barril et des protagonistes de l’affaire du Cercle Concorde est un indicateur de la proximité existant entre les officines de « sécurité  » opérant en Afrique et les machines à recycler l’argent d’origine douteuse que sont les affaires de jeux. Si ces affaires réussissent à prospérer en France, où les jeux sont théoriquement étroitement contrôlés, que dire de leur vitalité exponentielle en Afrique francophone, où la pègre française règne sans entraves dans l’ombre de régimes « forts » conseillés par des « experts » français !

Odile Tobner

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