Survie

Une spécialité congolaise : « la municipalisation accélérée »

(mis en ligne le 1er septembre 2008) - Jean-François de Montvallon

Une partie de l’enveloppe exceptionnelle de 260 millions d’euros sur 5 ans accordée par la France finance l’assainissement de la capitale ou "municipalisation accélérée". S’il y a une accélération, c’est plutôt celle des surfacturations effarantes et du clientélisme.

Un observateur candide aurait pu croire en effet que la famille régnante Sassou N’Guesso, rongée par le remords, enfin touchée par le désarroi d’une population privée de l’essentiel, ait entrepris d’y porter remède. La municipalisation consiste en effet, si on en juge par les innombrables annonces et discours qui lui sont consacrés, à réhabiliter voire construire des équipements collectifs : routes, adductions d’eau et d’électricité, hôpitaux, écoles sans oublier les bâtiments administratifs. Bref, le rêve…mais qu’en est-il exactement ?

Depuis 2004, le président Denis Sassou N’Guesso a décidé de célébrer chaque année, dans un département et donc une ville différente, l’accession de la république du Congo à l’indépendance. La ville élue fait dès lors l’objet d’une municipalisation dite « accélérée ». Jusque là rien d’anormal si ce n’est que les autorités locales sont tenues à l’écart de toute décision. Vous avez dit bizarre ?

Cela dit, il est assez légitime qu’une population se retrouve chaque année à travers la célébration d’un évènement ayant valeur de symbole. Evidemment, dans le cas présent, célébrer un Etat qui a totalement renoncé à ses devoirs les plus élémentaires vis-à-vis de ses citoyens, a quelque chose de tragiquement cocasse.

Pointe Noire (Kouilou), Impfondo (Likouala), Dolisie (Niari), Owando (la Cuvette) et enfin Brazzaville ont ainsi « bénéficié » successivement de 2004 à 2008 des investissements promis à cette occasion et dont l’enveloppe selon différentes sources1, est passée au fil des ans de 60 à 128 milliards de francs CFA. Encore faut-il préciser qu’il s’agit là des sommes annoncées…

La triste réalité conduit malheureusement à dresser la liste, d’une part de travaux certes d’utilité publique, mais qui présentent la double caractéristique de faire l’objet d’une surfacturation effarante et de ne pas être achevés (voire même parfois jamais commencés), et d’autre part de réalisations aussi somptuaires qu’éphémères avec la construction de villas de grand standing et de palais présidentiels « symboles de l’Etat » (sic) pour la seule utilisation du chef de l’Etat lors des festivités qui sont programmées dans chaque ville hôte.

Faut-il préciser que ces différents chantiers ne font bien entendu pas l’objet du moindre appel d’offres et sont attribués de façon totalement arbitraire. Le maître d’œuvre et grand dispensateur des marchés n’est autre que Jean Jacques Bouya, neveu du Président, placé à la tête de la délégation générale aux grands travaux (DGGT), organisme censé assurer la gestion des « grands projets structurants d’équipement et d’aménagement du territoire national », dont le coût est supérieur à 500 millions de francs CFA. Et tant pis pour la décentralisation…

On peut citer quelques exemples édifiants avec des forages d’eau d’un coût unitaire de 550 millions de francs CFA (prix du marché 25 millions) ou un palais présidentiel au demeurant inachevé à Impfondo de 6,5 milliards de francs CFA que des professionnels du bâtiment évaluent quant à eux à 500 millions au grand maximum. La liste de ces éléphants blancs est longue… Personne ne doute un seul instant que cette gabegie ne bénéficie en fait à quelques-uns, c’est-à-dire à ceux qui font partie du cercle rapproché et dont il convient de s’assurer de la fidélité à l’heure où le PCT, le parti du président, se fissure dangereusement en voyant s’affronter les rénovateurs et les conservateurs.

Les rénovateurs sont ceux qui constituent la garde rapprochée actuelle du Président, et les conservateurs ceux qui se référant à un passé symbolisé par l’image emblématique du président assassiné Marien Ngouabi, aspirent à bénéficier eux aussi des mêmes prébendes que les premiers. On mesurera là l’ampleur du renouveau démocratique au Congo…

Si on en juge par l’accueil mouvementé réservé par la population de Pointe Noire au président Sassou N’Guesso lors de sa visite en juillet dernier, il est à craindre que la « nouvelle Espérance » qu’il prétend incarner, n’ait du plomb dans l’aile.

Et pourtant voici un homme qui a accepté avec un enthousiasme certes discret, stimulé il est vrai par les amicales pressions des institutions financières internationales, la création d’un comité chargé de renforcer les capacités de transparence et de gouvernance du gouvernement et dont il a eu la sagesse de confier la présidence à un esprit libre et indépendant… le directeur de cabinet du ministre chargé des finances. Mais que voulez-vous, on a beau faire, le peuple n’est jamais satisfait.

Jean-François de Montvalon

Des Obsèques houleuses

Les Congolais viennent de battre le record d’abstention avec moins de 10% de participation aux élections locales du 29 juin dernier. Une désertion massive faussement attribuée par Sassou à la « multiplicité des associations et des partis de copains qui en ont éclipsé les véritables enjeux ». Un signe de l’impopularité de Sassou qui a été, par ailleurs, sévèrement conspué à Pointe Noire par des habitants furieux le rendant responsable de la disparition, le 20 juin, de l’enfant du pays, Jean-Pierre Tchystère Tchicaya, plusieurs fois ministre, ancien président de l’Assemblée nationale et fondateur du Rassemblement pour la démocratie et le progrès social (RDPS). Les violentes émeutes ont été réprimées façon Sassou. Ses hommes de main ont été lâchés dans Pointe-Noire avec leur cortège d’arrestations arbitraires, de tabassages et de menaces principalement dirigés vers les milieux proches du RDPS. Le bilan est d’ores et déjà, tragique. On déplore la mort d’un homme victime d’un passage à tabac par des agents du régime. Des centaines de jeunes gens, coupables d’irrespect à son égard, sont également embastillés dans ses geôles.

#GénocideDesTutsis 30 ans déjà
Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 172 - Septembre 2008
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