Survie

Après les émeutes de la misère

(mis en ligne le 1er novembre 2008) - Odile Tobner

Malgré les coups de semonces populaires, le régime camerounais s’obstine à réprimer toutes formes de contestation sociale et politique.

Depuis le 9 avril, Pierre Lambo Sandjo,
alias Lapiro de Mbanga, alias
également Ndinga Man (l’homme
guitare), maître du rap africain depuis une
trentaine d’années, auteur dans les années
80 du tube international « No make erreur »,
est incarcéré sous l’accusation d’avoir incité
à l’émeute lors des journées du 25 au 29 février.
De violentes révoltes qui ont vu s’embraser
plusieurs villes du Cameroun contre
l’augmentation des prix qui venait aggraver
la misère générale.
À Mbanga justement, la colère populaire
s’est déchaînée contre les bureaux
de la Société des plantations de Mbanga
(SPM). Il est avéré que Lapiro, leader politique
local du Social Democratic Front
(SDF), a tout fait pour calmer les esprits
et s’opposer aux violences. Il n’en a pas
moins été condamné, le 24 septembre, à
trois ans de prison ferme, deux cents millions
de FCFA (300 000 euros) de dommages
intérêts à la SPM qui réclamait un
milliard pour le saccage de ses bureaux
locaux et 80 millions au centre des Impôts
également dévasté par les émeutiers.
Au début des années 1990, lors du grand
mouvement de protestation des « villes
mortes », Lapiro, alors l’artiste le plus
populaire au Cameroun, s’était également
posé en médiateur.
Il avait alors perdu son « aura », soupçonné
de complaisance à l’égard du pouvoir
de Biya, mis en péril par les révoltes
urbaines. Cette fois il succombe à la vindicte
du même pouvoir. Il a eu le malheur
en effet, au début de cette année de produire
une chanson contre la réforme de la
constitution destinée à pérenniser le pouvoir
en place.
Il partage cette disgrâce avec Paul Eric
Kingué, maire RDPC de la localité voisine
de Njombe Penja, emprisonné lui aussi,
depuis le 29 février, et révoqué pour avoir
protesté contre le fait que les exploitants
expatriés des plantations de bananes ne
paient pas les impôts et contributions sociales dont ils sont redevables. Lui aussi
a été accusé d’incitation à l’émeute et on
lui a trouvé une affaire de détournement
de fonds. Le verdict le concernant n’a pas
encore été rendu.
Les conditions d’exploitation des bananeraies
sur les territoires de Mbanga et
de Njombe Penja, Plantations du Haut
Penja, sont en elles-mêmes une incitation
à l’émeute.
Elles ont été décrites dans un reportage
du Monde (« Coup de torchon à la bananeraie
 », 10 juin 2008) mais avaient déjà
été dénoncées par le journal Bubinga de
l’ONG environnementale camerounaise
CED : « Banane : les paysans mûrs pour
l’enfer (28 janvier 2008) » et, plus anciennement
encore, à la fin des années 1990,
par des militants du CIPCRE, ONG très
active dans le développement durable
(www.wagne.net/devdur/economie/ecoba...).
Ces bananeraies, malgré leurs pratiques
sociales et environnementales déplorables,
sont subventionnées par l’Union
européenne. La banane est en effet massivement
consommée par les Européens,
tandis qu’elle affame les Camerounais.

Odile Tobner

#GénocideDesTutsis 30 ans déjà
Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 174 - Novembre 2008
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