Survie

Au nom de l’humanité

(mis en ligne le 1er décembre 2008) - Odile Tobner

L’expansion de l’Europe s’est faite au nom du principe que « force fait loi » avec une violence extrême et tranquille. La société des nations après le premier conflit mondial au XXème siècle, l’ONU après le deuxième, avec le « plus jamais ça » qui avait été crié après 14-18 et redoublé un quart de siècle après, furent créées pour qu’on essaie de prendre au sérieux le problème de la violence inter et intra étatique que l’Europe retournait contre elle-même après en avoir fait l’instrument de sa puissance.
A l’appui de l’ONU, une cour internationale de justice fut créée en 1945, pour régler les différends entre les Etats, mais comme cette instance ne pouvait se saisir elle-même, seulement être choisie comme arbitre par les parties, elle n’intervint pas dans les conflits, nombreux et horribles, qui ont marqué l’histoire de la deuxième moitié du XXe siècle, faisant des millions de morts. Ces conflits se déroulaient désormais loin de l’Europe.
La conscience universelle se réveille en 1993 et le conseil de sécurité de l’ONU crée le TPIY pour juger les personnes responsables des crimes commis pendant les années 1991-1992 en ex-Yougoslavie. C’était une grande nouveauté judiciaire. En novembre 1994 le Conseil crée le TPIR pour juger les responsables du génocide des Tutsi au Rwanda, puis, en 2000 le TSSL, tribunal spécial pour la Sierra Leone, mis en place en 2002. Bizarrement le Conseil n’a pas créé de tribunal pour juger les crimes commis par les Russes contre les Tchétchènes entre 1994 et 2000. Il y a comme cela des points aveugles. Mais il a créé un tribunal spécial pour le Liban après l’assassinat de Rafiq Hariri, le 14 février 2005.
A coté de ces tribunaux temporaires une Cour Pénale Internationale permanente, pour juger certains crimes, principalement crimes de guerre, crimes contre l’humanité, génocides, est enfin établie par un traité conclu à Rome en 1998 entre des plénipotentiaires de 120 pays des Nations Unies. A ce jour 106 Etats ont ratifié ce traité, entré en vigueur en 2002. Quatre enquêtes sont en cours, trois sur plainte des pays concernés, contre des chefs de milices : Ouganda, RDC, RCA, et une à l’initiative du Conseil de sécurité contre des responsables Soudanais.
Mais on assiste également à une judiciarisation des rapports entre Etats à travers un certain nombre de plaintes et d’affaires : d’une part sur des attentats contre des avions, affaires de Lockerbie 1988, UAT 1989, Kigali 1994, d’autre part sur des assassinats, affaires Borrel 1995, Kieffer 2004, plaintes des victimes du génocide de 1994 au Rwanda auprès du tribunal aux armées de Paris 2005, ou encore sur des publications, procès des trois chefs d’Etat : Bongo, Sassou Nguesso, Déby contre Noir silence. Enfin sur des affaires financières : Affaire ELF, dont on sait que la juge Eva Joly n’a pas voulu, ou n’a pas pu, traiter le volet africain, affaire de l’Angolagate aujourd’hui.
Des enjeux de politique extérieure à l’échelon national ou de stratégies des grandes puissances à l’échelon de l’ONU sont mis entre les mains des juges, alourdissant leur responsabilité dans la recherche de la justice pour les hommes, quels qu’ils soient, ou le respect des puissants intérêts politiques qui pèsent de tout leur poids persuasif. Le juge, plus que tout autre, n’a le choix qu’entre l’honneur ou le déshonneur. Il n’y a pas de moyen terme. Il a la redoutable charge, quasi surhumaine, de juger sans se tromper, au nom de l’humanité, tous les crimes accomplis et non quelques uns seulement. Car plus encore que de se tromper, le pire déshonneur est de laisser lâchement des victimes dans le point aveugle du regard de la justice.

Odile Tobner

#GénocideDesTutsis 30 ans déjà
Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 175 - Décembre 2008
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