Survie

Tout doit disparaître !

(mis en ligne le 1er décembre 2008) - Thomas Noirot

Après les prêts gagés sur le pétrole ou les remises de dettes en échange de concessions d’exploitation minière, une autre ressource est en voie d’être massivement hypothéquée en Afrique : les terres agricoles. Au détriment de la capacité à alimenter les populations.

Après les prospections des richissimes
états du Golfe comme le Koweït ou
l’Arabie Saoudite, c’est au tour de la
Corée du Sud de jeter son dévolu sur des terres
africaines « inexploitées ». Depuis fin novembre,
les médias se sont ainsi fait l’écho d’un
accord entre l’état malgache et la firme sud-coréenne
Daewoo Logistics. L’accord était semble-
t-il bouclé, voire déjà signé, et ne concernait
pas moins d’1,3 million d’hectares : soit
l’équivalent de la totalité des terres cultivées de
la Belgique ! Il a également été affirmé que la
firme pourrait disposer de ces terrains sans rien
verser à l’état malgache : la plus-value, pour ce
dernier, serait juste la valorisation de ressources
encore inexploitées et la création d’emploi local
(quelles qu’en soient les conditions sociales...).
Un double argument que Total pourrait, selon
cette logique, reprendre à son compte pour obtenir
l’attribution gracieuse de nouveaux blocs
pétroliers en Angola !
Depuis, la représentation malgache de Daewoo
Logistics Corporation (DWL) et les autorités
d’Antananarivo ont diffusé des démentis sur
ces points précis. Ainsi, le contrat ne serait pas
encore signé, DWL annonçant que seule la
« prospection technique » a été réalisée. La surface
concernée et les conditions financières ne
seraient pas non plus définies : le ministre de la
Réforme foncière, des Domaines et de l’Aménagement
du territoire précise en effet que
« les discussions sur les modalités du contrat
ne peuvent commencer que sur la base
[du
compte-rendu technique de DWL] ». Le PDG
de la filiale aurait-il été trop bavard ou trop sûr
de l’avancée du dossier, en annonçant le mardi
18 novembre des chiffres désormais démentis
par les services de sa propre entreprise ?
Cependant, quelles qu’en soient les « modalités », le principe d’un tel contrat est maintenu.
La crise alimentaire est à l’origine du phénomène
qui va en démultiplier l’ampleur. Le
PDG de la filiale de Daewoo déclare ainsi :
« Nous pourrons soit exporter les récoltes
vers d’autres pays, soit les rapatrier vers la
Corée en cas de crise alimentaire.
 » C’est-à-dire provoquer un mouvement brutal
dans les flux alimentaires et donc susceptible
d’aggraver considérablement une crise
naissante. Mais surtout, cette ruée sur les
terres arables africaines hypothèquera durablement,
sinon définitivement, la capacité
de production vivrière. Il ne faut en effet
pas se leurrer sur la nature du bien concédé :
plus qu’une superficie pendant une durée
déterminée (on parle de 99 ans dans le
cas malgache !), c’est tout simplement le
sol qui est bradé, au sens agronomique du
terme. Le triste record malgache, avec son
probable million d’hectares de maïs en monoculture
et ses 300 000 hectares annoncés
de palmiers à huile, ne laisse aucun espoir
quant à l’état du sol après quelques dizaines
d’années de pratiques intensives connues
pour leurs effets érosifs !
Pour seule réponse, l’Organisation des Nations
unies pour l’alimentation et l’agriculture
(FAO), bien intentionnée mais toujours
impuissante, vient de publier une mise en
garde, et de lâcher un gros mot : « néocolonialisme agraire ».

Thomas Noirot

#GénocideDesTutsis 30 ans déjà
Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 175 - Décembre 2008
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