Survie

Une répression sanglante à huis-clos

(mis en ligne le 1er mars 2009) - Clément Boursin

L’Observatoire national des droits de l’homme du Cameroun (ONDH) vient de publier un rapport documenté sur les violations des droits de l’homme commises à l’occasion des troubles politiques et sociaux de février 2008. Des violations qui n’ont pas ému la France, pas plus que la communauté internationale.

Le 25 février 2008, à la suite de l’appel à la grève des principaux syndicats de transporteurs contre la hausse du prix du carburant, les populations - principalement les jeunes - prennent d’assaut les rues des villes du sud-ouest (Douala, Yaoundé, Bafoussam, Bamenda…) avec des revendications socio-économiques et politiques. Pendant quatre jours, du 25 au 29 février 2008, le pays vit à l’heure des « émeutes de la faim » comme les ont appelées les observateurs internationaux. Mais à la différence d’autres pays africains qui ont connu le même type d’événements (Sénégal, Côte-d’Ivoire, Burkina-Faso…), c’est bien un facteur politique - le projet de modification constitutionnelle supprimant la limitation des mandats du président - qui, conjugué avec la hausse des prix des carburants et des denrées alimentaires a servi de déclencheur au soulèvement populaire.
Face à l’ampleur des manifestations, les autorités font rapidement appel à l’armée et à ses forces spéciales et leur confèrent en partie la conduite des opérations de maintien de l’ordre. Policiers, gendarmes et militaires se déploient alors en nombre sur le terrain avec des armes à feu. Dans les rues, les forces de sécurité n’hésitent pas à ouvrir le feu à hauteur d’homme, de manière indiscriminée et sans sommations préalables. Certains individus, qui auraient pu être arrêtés, sont exécutés à bout portant à la tête ou au niveau de l’abdomen.
Le 27 février au matin, survient à Douala l’un des épisodes les plus sanglants de cette répression. Des milliers de jeunes de Bonabéri, portant des pancartes avec des messages de paix, se retrouvent bloqués sur le pont du Wouri par les forces de l’ordre, déployées de part et d’autre. Des gaz lacrymogènes sont lancés sur la foule pacifique. Un hélicoptère en fait de même. Certains éléments des forces de l’ordre tirent à balles réelles. La panique gagne immédiatement la foule. Les jeunes qui sont en tête de la manifestation tentent de s’enfuir en direction de la base Razel. Ils sont arrêtés par les forces de l’ordre. Au milieu du cortège, de nombreux jeunes se jettent à l’eau pour éviter les gaz, les balles et les piétinements. Plusieurs ne savent pas nager et se noient. La répression sur le pont du Wouri a fait de nombreuses victimes. Des témoins ont parlé de plus de vingt corps retrouvés par des pêcheurs.

Un bilan largement minoré

Selon les autorités, le bilan officiel des violences de fin février 2008 est de 40 morts dont un policier. Ce chiffre, déjà lourd, semble toutefois bien en deçà de la réalité. Selon l’Observatoire national des droits de l’homme du Cameroun (ONDH), 139 personnes ont perdu la vie durant ces événements, principalement à Douala. Pour établir la vérité sur ce qui s’est réellement passé et apporter justice aux victimes et à leurs familles, le gouvernement camerounais aurait dû entreprendre des enquêtes afin de juger les auteurs de violences. Un an après les faits, le constat est sévère. Aucune enquête n’a été menée. Aucun auteur de tirs ayant entraîné la mort n’a été traduit en justice. Aucun élément des forces de sécurité, responsables de violences, n’a fait l’objet de mesure disciplinaire, ni administrative. Aucun dédommagement, ni indemnisation n’a été apporté aux victimes et à leurs familles. Seules des poursuites judiciaires de grande ampleur ont été engagées à l’encontre de civils, auteurs présumés de troubles à l’ordre public.
Au cours d’un point presse, le 10 mars 2008, le gouvernement camerounais, par l’entremise du ministre de l’Administration territoriale et de la Décentralisation, Marafat Hamidou Yaya, a même « salué l’action, mais surtout la tempérance des forces de maintien de l’ordre qui n’ont pas fait un usage abusif de leurs armes, malgré les nombreuses provocations auxquelles elles étaient sujettes » Il a assuré que « les cas de décès ne sont pas tous imputables à l’action de la force publique. » Selon lui, « de manière spécifique à Douala, beaucoup de morts sont le résultat des rixes entre des bandes de gangsters qui ont infiltré la contestation. Le partage des biens volés à la suite d’actes de pillage a donné lieu à des disputes violentes entre les bandits. Et certains ont été victimes du phénomène de justice populaire. Ce que nous déplorons. »

Le silence de la communauté internationale

La répression sanglante de février 2008 n’a pas indigné outre mesure la communauté internationale. Les principaux partenaires du Cameroun ont certes dénoncé les violences, mais ces déclarations, imprécises et non ciblées sur les auteurs des principales violences, n’ont pas eu d’effet sur la politique de répression entreprise par les autorités. À la fin des violences, alors que la communauté internationale aurait dû jouer un rôle clé auprès des autorités camerounaises pour qu’elles rendent des comptes sur les exactions commises, les principaux bailleurs de fonds internationaux comme la France, le Royaume-Uni, les États-Unis et l’Union européenne, n’ont pas appelé à la mise en place d’une commission d’enquête indépendante, ni au Cameroun ni au niveau international. Les organismes internationaux comme l’Union africaine (UA) et le Haut Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme (HCNUDH) sont restés également fort silencieux sur le sujet.
Le silence de la communauté internationale a ainsi encouragé les autorités camerounaises à ne rien entreprendre pour établir la vérité sur ces événements et pour rendre justice aux victimes.
Sans une meilleure protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales, la possibilité de nouveaux troubles et de répression demeure réelle au Cameroun, surtout à l’approche de l’élection présidentielle en 2011 qui, dans ce contexte de désintérêt international, risque de ne pas être aussi libre, ouverte, démocratique et transparente, que les Camerounais l’espèrent.

Clément Boursin – Chargé de mission Afrique – ACAT-France

Après un minutieux travail d’enquête sur le terrain et après avoir interrogé de nombreuses victimes et témoins de ces événements, l’Observatoire national des Droits de l’homme du Cameroun (ONDH) a documenté les violations des droits de l’homme commises fin février 2008 dans son rapport « Cameroun – 25-29 février 2008 : Une répression sanglante à huis-clos ». Ce travail de compilation a été mené grâce au concours de l’ACAT-Littoral et de l’ACATFrance à l’occasion de la venue de l’ACATFrance au Cameroun en juin 2008. Le rapport est disponible sur le site www.acatfrance.fr

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Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 178 - Mars 2009
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