Survie

Ni exode, ni invasion

(mis en ligne le 1er avril 2009)

Deux chercheurs français, Cris Beauchemin et David Lessault, à l’Institut national d’études démographiques (INED), contestent fermement l’idée « très largement répandue » d’une migration « massive  » des Africains subsahariens vers l’Europe : « Il n’y a ni exode ni invasion ». Alors qu’une place majeure est accordée à l’Afrique dans tout le dispositif politique de gestion des migrations, « les migrations internationales d’Afrique subsaharienne vers le Nord ne sont massives ni du point de vue des pays de départ ni du point de vue des pays d’arrivée », a fait valoir Cris Beauchemin à l’occasion d’un colloque organisé à Dakar début février.

Pour contester l’idée selon laquelle les départs d’Africains vers le nord sont massifs, David Lessault a notamment cité les résultats du recensement de 2002 au Sénégal : « 170 000 Sénégalais sont partis à l’étranger entre 1997 et 2002 (de façon régulière ou irrégulière). C’est à peu près l’équivalent de la population de la ville sénégalaise de Saint-Louis mais cela correspond à un taux d’émigration de 1,8%  ». De quoi s’interroger sur les raisons de « l’extraordinaire visibilité de l’émigration subsaharienne dans les discours publics » en Europe : « les décideurs publics ont très fortement intériorisé l’idée que les migrants sont des miséreux et, comme l’Afrique, incarnent la misère dans le monde. On imagine, par association d’idées, que forcément il y a beaucoup de départs de l’Afrique ».

Or cette équation « pauvreté = émigration vers le Nord  » n’est pas démontrée.

Quand on consulte les différentes enquêtes, poursuit David Lessault, on remarque que « les ménages avec migrants sont sous-représentés dans les classes les plus pauvres et sur-représentés dans les ménages les plus riches  », « car pour préparer un départ vers le Nord, il faut une certaine somme d’argent ». En Europe, ces immigrés sont d’autant plus visibles qu’ils sont « noirs et souvent concentrés dans certains quartiers ». De plus, le flot d’images télévisuelles spectaculaires montrant les pateras débordant ou de corps échoués sur les plages européennes accentue encore davantage le ressenti des européens sur la question.

Pour conclure, les deux chercheurs posent la question de la pertinence des politiques européennes en matière d’immigration : « Quand on voit à quel point l’émigration subsaharienne pèse peu, y compris quand on intègre les irréguliers, affirme M. Beauchemin, on peut se demander par exemple pourquoi l’Union européenne dépense autant d’argent pour le dispositif (de contrôle des frontières) Frontex ».

#GénocideDesTutsis 30 ans déjà
Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 179 - Avril 2009
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