Survie

Bongo à perpétuité

(mis en ligne le 1er octobre 2009) - Raphaël de Benito

Ali Bongo, après son
« élection » du 30 août :
« Nous avons décidé que le
Gabon ne changera pas de
politique, donc nous voulions
réaffirmer l’engagement qui
est le nôtre à pouvoir oeuvrer
à la consolidation de notre
sous-région »

Le coup d’Etat électoral gabonais ne
vous rappelle rien ? C’est presque le
même scénario qu’au Togo, en 2005.
Cette année-là, Faure Eyadema s’empare
du pouvoir à la mort de son père, le général
Eyadema. Quelques semaines plus tard, c’est
par les urnes qu’il sera faussement légitimé
au terme d’un simulacre d’élection. Dès le
lendemain du scrutin, Michel Barnier, alors
ministre des Affaires étrangères, se félicitait
d’une élection transparente. Un scénario qui,
comme nous l’écrivions à l’époque, ouvrait la
voie à d’autres successions françafricaines. Et
de citer les « fils de » comme Ali Bongo.

Quatre ans plus tard, c’est au tour des Gabonais
de connaître une succession dynastique.
L’élection présidentielle s’est limitée à une
campagne électorale extrêmement courte,
deux semaines seulement. On a fait joujou en
quelque sorte. Avec une profusion de candidats,
23 au total, incapables de s’unir et dont
la plupart ont exercé des responsabilités sous
Bongo père. Pour ce qui est du vote, la fin de
la récréation a été vite sifflée. Car selon l’adage
devenu désormais célèbre, « on n’organise
pas une élection pour la perdre »
.

Les officines à l’oeuvre

A Paris, on a fait semblant de n’avoir aucun
candidat tout en faisant campagne pour Ali
en coulisses. Avec toujours les mêmes à la
manoeuvre, Bourgi, Guéant, Joyandet et les
hommes d’affaires corses, Michel Tomi et
André Giacomoni. Devant l’évidence, certains
diplomates ont tenté de diminuer l’influence
de Bourgi : « Il a réussi à accréditer
l’idée que nous avions un candidat et que
nous avons tout fait pour le faire élire, alors
que c’est complètement faux »
. Pourtant,
en privé, Kouchner reconnaît son influence
auprès de Sarkozy : « À plusieurs reprises,
j’ai conseillé à Nicolas de ne pas écouter les
officines »
(l’Express, 17 septembre). Qu’à
cela ne tienne, c’est « à la demande de la
France qu’Ali Bongo pourrait maintenir à
la présidence Jean-Pierre Lemboumba,
qui était, dans l’ombre, le grand
coordinateur des affaires présidentielles
(en particulier financières)
d’Omar Bongo »
(Lettre
du continent
n°572 ).

Trop de compromissions partagées,
trop d’arrangements sonnants
et trébuchants font que le
clan Bongo et la France sont liés
pour longtemps. Car il est illusoire
de penser qu’Omar Bongo
a emporté dans sa tombe tous
les secrets du marigot françafricain,
les léguant notamment à sa
fille Pascaline. Il était donc évident
qu’un Bongo succèderait à
un Bongo d’autant que l’organisation de
l’élection a été entachée de nombreuses irrégularités
légales et constitutionnelles.

Des listes électorales extravagantes

Dans une analyse juridique réalisée à Libreville,
quelques semaines avant le scrutin,
l’avocat parisien Norbert Tricaud estimait
qu’en raison des délais trop courts
qu’il s’est imposé, le gouvernement n’a
pas été en mesure de promulguer à temps
les ordonnances et décrets permettant de
respecter les dispositions de la loi électorale.
Pas de convocation du corps électoral
(article 74) ni d’affichage des listes
électorales révisées (article 14a). Ce qui
a privé de recours les citoyens mal inscrits
ou non inscrits. Recours d’autant
plus nécessaires que le Premier ministre
Paul Biyoghe Mba a reconnu publiquement
que ces listes comportent « au moins
120 000 doublons »
, électeurs fictifs, soit
un taux de 14,76 % d’irrégularités sur un
corps électoral évalué à la hâte à 813 000
électeurs, bien trop grand par rapport au
1,3 millions de Gabonais (60% de la population
 !). Or, s’agissant d’une élection
à un seul tour, un tel taux d’irrégularitéconstitue
à lui seul une situation de cas
de force majeure qu’une Cour constitutionnelle
légitimement composée ne pouvait
que constater en ordonnant le report
du scrutin présidentiel pour une révision
complète des listes électorales (article 13
de la Constitution).

Dans les consulats du Gabon à l’étranger,
aucune liste électorale n’avait été publiée
à la date du 23 août soit six jours avant le
scrutin (alors qu’un recours éventuel demande
huit jours) ! Aucune nouvelle carte
électorale n’a également été distribuée, ce
qui a privé de tout recours la diaspora gabonaise
et a contribué à augmenter le taux
d’irrégularité des fichiers électoraux.

Mais pouvait-il en être autrement alors que
la Cour constitutionnelle ne respecte pas
elle-même la Constitution avec une présidente,
parente d’Ali Bongo, et ses conseillers
qui ont fait plus d’un mandat de sept ans en
violation de l’article 89 ? A-t-elle donc la
moindre légitimité quant à la validité de ses
décisions dont celle contribuant à la fixation
du scrutin au 30 août ?

Par ailleurs, le pouvoir exécutif gabonais à
la solde du clan Bongo n’a évidemment pas
incité les juridictions saisies du contentieux
sur les conditions d’organisation à statuer
au moins dix jours avant la date du scrutin
annoncé. Mais l’objectif du gouvernement
n’était pas de palier à ses graves carences ni
de lutter efficacement contre les pratiques de
fraude mais plutôt de priver les citoyens de
leur libre expression.

Les urnes « pirates »

Les Gabonais l’avaient bien compris en
protestant, le 7 août, dans les rues de Libreville
malgré les intimidations et les bavures
policières dans le quartier populaire
de Rio. Ils n’ont pu que le constater le jour
du vote avec les nombreuses urnes « pirates
 », urnes non identifiables et substituées
à d’autres préalablement arrangées
avec des procès-verbaux trafiqués. Sur
près de six cents bureaux étudiés, l’opposition
a relevé de graves irrégularités
dans 446 d’entre-eux, des procès-verbaux
douteux aux fiches d’émargement incomplètes
voire absentes. Au total, près de
78 000 suffrages sont concernés par cet
examen. Par ailleurs, la commission électorale (Cenap) n’a pas autorisé la consultation
d’autres pièces litigieuses comme
les listes d’émargement du département du
Komo-Océan (3 532 inscrits) et du Komo-
Kango (plus de 10 800 inscrits). Les autorités
gabonaises avaient par ailleurs restreint
aux journalistes l’accès aux bureaux de vote
non sans de sévères mises en garde et intimidations.
Dans ce contexte, on mesure mieux
l’inanité des appels répétés de Joyandet et
Kouchner incitant les Gabonais, candidats et
citoyens à utiliser les voies légales pour tout
recours.

« Tous sauf Ali ! »

La journée de vote a été tendue, de Libreville
ou Port-Gentil. Sûr de son forfait, Ali Bongo,
déclarait à la mi-journée que les résultats préliminaires
le plaçaient d’emblée en « large
vainqueur »
. De quoi rendre l’atmosphère irrespirable
alors que la rue gabonaise bruissait
du « Tous sauf Ali ». Il a fallu attendre trois
jours pour la proclamation des résultats. Une
annonce pourtant attendue dès le lendemain,
renforçant ainsi les suspicions de manipulations.
Le jeudi, la messe était dite avec la
« victoire » d’Ali. On ne connaît toujours pas
le bilan exact des violences post-électorales.
A Port-Gentil, les troupes d’élite de l’armée
gabonaise, les « bérets rouges » ont maté à
huis-clos le soulèvement tandis que le consulat
de France était incendié. Une répression
qui aurait causé la mort d’une trentaine de
personnes. Et il ne fait pas bon enquêter sur le
sujet : le directeur de publication de L’Union,
Albert Yangari, a été interpellé, le 25 septembre,
par une unité de bérets rouges alors que
son journal mettait en cause le bilan officiel de
trois morts. L’union affirmait que « le nombre
de victimes peut atteindre 22 personnes »
.

Quant aux 300 observateurs internationaux,
cooptés par le pouvoir, ils ont trouvé le déroulement
du scrutin acceptable, pointant
quelques faiblesses dans le déroulement du
scrutin, entre autres l’absence des scrutateurs
dans certains bureaux de vote lors du dépouillement
et le peu de professionnalisme de
certains acteurs impliqués dans l’organisation
des élections. En revanche, aucune des 200
personnes formées à la supervision électorale
par l’Observatoire National de la démocratie
(OND), structure mise en place par des responsables
d’ONG et personnalités de la société
civile n’a reçu d’accréditation.

D’après le journaliste de LCI, Vincent Hervouët,
les observateurs n’ont « observé »
que soixante bureaux de vote ! Alain Joyandet,
se retranchant derrière ces observateurs
internationaux « qui ont salué cette élection
 »
, a tout de même admis que la présidentielle
gabonaise s’était déroulée « dans
des conditions difficiles »
. Pas de quoi retarder
le message de Sarko qui, dès le dimanche,
félicitait Bongo juste après Paul Biya,
Khadafi, et Mohamed VI.

Paris a par ailleurs minimisé les violences qui
ont secoué le pays et visé des intérêts français.
C’est Kouchner, d’un cynisme écoeurant, qui
s’y employé : « C’est entre gabonais, entre
fractions
[Ndlr : faction ?], entre concurrents,
pour le moment. Il y a une commission
de recours, il y a des appels possibles, dans
les dix jours (...) Je n’enlèverais pas le sentiment
anti-français, s’il existe parce qu’il date
des temps de la colonisation (...)
a-t-il encore
considéré. Une façon peu honorable d’exonérer
la France de ses responsabilités. Et elles
sont importantes, avec le soutien constant au
clan Bongo.

Selon le sociologue Joseph Tonda interrogé
par l’AFP (26 août), « Bongo va continuer à
régner pendant plusieurs années ». La religion
de l’argent qu’il a développée dépasse
sa personne et se retrouve dans les structures
physiques et mentales de toute la société
formatée pendant 41 ans, nous sommes
dans une logique de consommation : passer
d’une économie de rente à une économie de
production va prendre beaucoup de temps.
Même si la population dénonce le fonctionnement
négatif du système, elle en est demandeuse
 »
.

Raison de plus de soutenir les membres de la
société civile qui refusent ce funeste destin.

Raphaël De Benito

#GénocideDesTutsis 30 ans déjà
Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 184 - Octobre 2009
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