Survie

« Tous savaient qu’il y avait des mercenaires français »

Inexorablement, la vérité sur le rôle de la France au Rwanda fait son chemin avec les récentes révélations de Jean-François Dupaquier, l’enquête de Benoit Collombat sur France Inter, « Quand les mercenaires français s’activent en plein génocide » et celle de Charlie Hebdo sur Paul Barril. Le témoignage de Patrick de St-Exupéry [1]

Billets d’Afrique : de nouvelles informations font état de la présence de mercenaires français pendant le génocide au Rwanda. Y a-t-il effectivement eu des mercenaires français présents au Rwanda ?

Bien sûr. La présence de Paul Barril au Rwanda a toujours été attestée. La nouveauté réside dans la production du témoignage du belge Georges Ruggiu, un animateur de la radio des Mille collines condamné à douze ans de prison par le TPIR.

Dans son pré-interrogatoire, celui-ci témoigne de la présence de mercenaires étrangers aux côtés de hauts gradés de l’armée rwandaise. Ces documents, tirés de l’ombre par le journaliste Benoit Collombat de France Inter, posent question.

BDA : A quelle époque exactement et quelles étaient leurs missions ?

Le statut des personnes désignées par Ruggiu comme des « mercenaires » est peu clair. Dans son témoignage, celuici précise : « Ces militaires là (…) je les considérais comme des mercenaires ». Il ajoute : « C’est à peu près tout ce que je peux dire sur ces militaires français, à la réserve près que je croyais que c’étaient des militaires français qui avaient été envoyés par le gouvernement français. » On le voit bien : Georges Ruggiu n’est pas certain de la qualité de ces hommes.

Dans son témoignage, ce dernier évoque la date du 20 mai 1994. Nous sommes donc un mois et demi après le début du génocide, c’est-à-dire à un moment où la situation est en train de devenir critique pour le gouvernement intérimaire mis en place après le 6 avril 1994.

BDA : Pour le compte de qui travaillaient- ils ? Pourquoi avoir fait appel à des mercenaires ?

A lire les propos de Ruggiu, il y a deux possibilités : « Mercenaires » ou « militaires français envoyés par le gouvernement français ». A vrai dire, les deux hypothèses sont envisageables, rien ne permet de trancher. Il s’en ajoute même une troisième : des mercenaires missionnés par les autorités françaises.

BDA : Paul Barril est un simple mercenaire ou était-il au service de la France ?

Il faudrait poser cette question au juge Bruguière, qui a eu l’occasion d’interroger longuement Paul Barril, le témoignage de l’ancien gendarme ayant été littéralement « soustrait » à la mission d’information parlementaire formée en 1998. Mais je ne suis pas certain que le magistrat – aujourd’hui à la retraite - soit d’un grand secours : il a, à ma connaissance, « oublié » de demander à Paul Barril s’il était présent au Rwanda le 6 avril 1994, date de l’attentat.

BDA : Il semble que Paul Barril était présent au Rwanda pendant le génocide. Qu’y faisait-il ?

Lui-même, dans son livre Guerres secrètes à l’Elysée, dit avoir été présent au Rwanda peu après l’attentat. Difficile à ces dates de faire du tourisme…

BDA : Vous aviez interviewé des militaires français, ces derniers étaient-ils au courant de la présence de mercenaires ?

Oui bien sûr. Quoi qu’il en soit des trois possibilités, militaires et politiques français étaient forcément au courant d’une telle présence et ce, bien avant le début du génocide. Rien de ce qui se passait au Rwanda n’était ignoré.

Côté militaire, cela est probant. Dans mon livre, L’inavouable, la France au Rwanda, je cite à la page 282 le témoignage d’un haut officier qui me dit avoir demandé, dans le courant de l’année 1993, un tête-à-tête avec François Mitterrand. Lors de ce tête-à-tête, cet officier affirme avoir posé la question suivante : « Monsieur le président, y’at- il quelqu’un de l’Elysée ou de votre entourage qui ait pu agir en dehors de votre connaissance ? » Ce même officier précise son interrogation : « L’ancien capitaine Paul Barril est-il chargé officiellement ou officieusement d’une mission ? ». Réponse de François Mitterrand, selon l’officier : « Paul Barril n’est mandaté par personne ».

L’officier expliquait ainsi le sens de sa démarche : « J’essayais de protéger le président au maximum. Je voulais savoir où je mettais les pieds. Vous savez, le président confiait parfois des missions à des gens très différents. C’était sa manière d’être indépendant ».

Côté politique, cela est tout aussi probant. Dans ses mémoires, Les Mondes de François Mitterrand publié en 1996, Hubert Védrine fait état - en une curieuse litote - de cette proximité. Il écrit ceci : « Qu’il ait pu y avoir des relations trop étroites entre certains militaires français, ou les services, et le gouvernement du président Habyarimana ne change rien à la ligne très claire de la diplomatie française à l’égard du problème rwandais de 1991 à 1994 ».

Plus récemment, dans une interview au ton plutôt « énervé » à l’hebdomadaire Politis (été 2009), Hubert Védrine déclare qu’ « il est possible que des mercenaires français, ou autres, aient été mêlés à l’attentat (du 6 avril 1994) ».

En pied de cette même interview, l’ancien secrétaire général de l’Elysée insiste : « Il y a beaucoup de soldats perdus en Afrique, de spéculations, de paranoïa. Cela ne prouve rien sur la politique des Etats ».

BDA : Pensez-vous que ces mercenaires ont court-circuité le travail des militaires ?

La réponse à cette question n’est pas de l’ordre de l’opinion. Il convient d’abord d’établir les faits. Aujourd’hui, quinze ans après le génocide des Tutsis du Rwanda, les faits problématiques sont de plus en plus étayés. Et on sent très bien les stratégies d’évitement : des militaires jouent les politiques en bouclier, des politiques jouent les militaires en bouclier. Le serpent se mord encore la queue.

BDA : Le nom de Paul Barril revient souvent parmi ces mercenaires, quelles ont été ses missions au Rwanda ?

Paul Barril est-il un « mercenaire » ? Ou un « militaire français » ?

« Mercenaire », Paul Barril l’est. Il a passé plusieurs contrats privés avec les autorités rwandaises qui seront impliquées dans le génocide. L’un de ces contrats, conclu en 1993, était intitulé « Insecticide ». Pendant le génocide, les Tutsis étaient appelés « cafards ». Mais « militaire français », l’ancien capitaine du GIGN l’est aussi. Il s’en revendique haut et fort et affirme, par exemple, avoir re-hissé les couleurs de la France au Rwanda après le 6 avril 1994. Après le génocide, il a été élevé au grade de commandant de réserve. Enfin, des semaines plus tard, Paul Barril porte plainte - au nom des autorités rwandaises qui ont mené le génocide - contre un concurrent pour « commerce et trafic illégal d’armes ».

Sa plainte est acceptée, c’est incroyable : neuf mois après le début de l’extermination, la justice française reconnaît comme légitimes les autorités responsables du génocide ; la même justice française se montre soucieuse de leurs intérêts financiers ; et un soi-disant « privé » agit, lui, en lieu et place des autorités françaises, seules, selon la loi, à même d’engager en France des poursuites pour trafic d’armes.

[1Patrick de Saint-Exupéry est journaliste grand reporter, Prix Albert Londres (1991), rédacteur en chef de la revue XXI ayant notamment travaillé pour le Figaro, l’Express ou Grands Reportages. Il a parcouru le monde, et en particulier le Rwanda, et a écrit une série d’articles sur l’opération française Turquoise (1994) parue en 1998, qui est à l’origine de la mission d’information parlementaire sur le rôle de la France au Rwanda. Il est l’auteur de L’inavouable, la France au Rwanda, (Les arènes, 2004).

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Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 184 - Octobre 2009
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