Survie

Madagascar : Le rôle trouble de la France

(mis en ligne le 1er novembre 2009) - Raphaël de Benito

Madagascar est plongée depuis le début de l’année dans une crise politique majeure. Les perspectives de sortie de crise sont minces, polluées par les efforts de la diplomatie française pour légitimer le putschiste Andry Rajoelina à la tête d’une Haute autorité de transition.

Comment peut-on condamner, d’un côté, le coup d’Etat d’Andry Rajoelina et d’un autre, proposer comme base de travail la présidence du gouvernement de transition au même putschiste ? Et lui confier l’organisation d’élections libres et transparentes à la fin de l’année 2010 ?

C’est pourtant l’option peu crédible adoptée par le Groupe International de Contact (GIC) [1] qui négociait les accords inter-malgaches de Maputo le 9 août dernier. Ces pourparlers réunissaient les chefs de quatre principaux partis, dont Rajoelina et le président déchu Ravalomanana. D’ailleurs, dès le lendemain du premier round de négociation, Marc Ravalomanana, menaçait de rendre le consensus caduc, en réitérant son exigence d’une non-candidature d’Andry Rajoelina à la présidentielle de 2010, pour le reconnaître à la tête de la transition malgré les déclarations triomphantes de la France. Son secrétaire d’Etat, Alain Joyandet, se félicitant bruyamment : « Cet accord va permettre le retour de Madagascar dans la communauté des Nations respectant l’ordre constitutionnel  ». Avec un putschiste légitimité ? Le ministère des Affaires étrangères insistant sur des accords qui « doivent être intégralement mis en oeuvre dans les meilleurs délais  », « la France salue la conclusion positive des négociations entre les mouvances malgaches sur la nomination aux plus hauts postes de la future transition. »

Il faut dire que la position de la France vis-à-vis du putschiste Rajoelina est plus qu’ambiguë.

Depuis le début de cette crise, la France, qui officiellement ne reconnaît pas un pouvoir mis en place par un coup d’Etat, semble néanmoins multiplier les efforts pour appuyer, de manière à peine déguisée, Andry Rajoelina. La décision française de poursuivre ses programmes de coopération, y compris militaire, se trouve en porte-à-faux avec la position plus sévère de l’Union européenne. Depuis son arrivée à Madagascar, dans les jours qui ont suivi le coup d’Etat, l’ambassadeur de France, Jean-Marc Chataïgnier multiplie néanmoins les initiatives diplomatiques et médiatiques : « la France est un spectateur engagé et non un acteur de la crise malgache », « la France est solidaire de la communauté internationale et du GIC », « rien [dans les accords de Maputo] n’interdit à Andry Rajoelina d’être président de la transition ni de se présenter aux prochaines élections présidentielles » (Midi Madagascar, 22 octobre).

Chataignier a beau jeu de se retrancher derrière le GIC alors que la France y use de toute son influence. La dernière réunion du GIC, annoncée comme une évaluation de la situation, a tourné en une séance marathon pour imposer comme un « schéma consensuel » défendu par la France et l’UA du gabonais Jean Ping : Andry Rajoelina, pour la présidence, Eugène Mangalaza, fidèle de l’ex-président françafricain Didier Ratsiraka comme Premier ministre.

D’après un diplomate présent, l’ambassadeur français aurait même été agressif vis-à-vis d’un homologue européen qui défendait une autre option. A l’issue de cette très longue réunion, les médiateurs internationaux ont même outrepassé leurs prérogatives en annonçant publiquement et prématurément un accord qui n’était en fait qu’au stade de propositions. Les mêmes médiateurs avaient bafoué le principe de neutralité en laissant entendre que cet accord serait signé avec ou sans Ravalomanana. Un empressement suspect qui provoque une belle cacophonie diplomatique et qui vient semer encore davantage le trouble dans une situation déjà confuse et explosive.

« A French coup ! »

Cet activisme diplomatique français a fait dire à un diplomate européen à l’issue de la réunion du GIC des 6 et 7 octobre dernier à Antananarivo, alors que circulent des rumeurs sur la relation conflictuelle entre français et américains sur le cas malgache  : « A French coup ! ». C’est aussi l’avis, sans surprise, de Ravalomanana qui à la question du Monde (28 octobre) répondait  : « Le coup d’Etat à Madagascar était bien étudié et bien orchestré. En trois mois, c’était fait ! Moi-même, j’ai été surpris. Je ne dis pas que la France a tout organisé, mais il y avait des Français derrière cela. Les services de renseignement sud-africains, ici, me l’ont dit. » A l’heure où nous bouclons, les chances de règlement de la crise politique malgache semblent ténues, l’ex-dirigeant Marc Ravalomanana refusant de négocier si le président autoproclamé Andry Rajoelina ne démissionne pas.

RDB

[1Le GIC est composé de Jean Ping, président de la Commission de l’Union Africaine (UA), vieille connaissance de la Françafrique, de l’ancien président mozambicain et chef de la médiation internationale, Joaquim Chissano, ainsi que de représentants des Nations unies, de l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF), de la Commission de l’océan indien, de l’Union Européenne, de la France et des Etats-Unis.

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Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 185 - Novembre 2009
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