Survie

Probo Koala : les documents toxiques qui dérangent Trafigura

(mis en ligne le 3 novembre 2009) - Rafik Houra

Trafigura ne mégote pas sur les pressions pour étouffer l’affaire des déchets toxiques du Proba Koala. Billets d’Afrique a retrouvé un document officiel de l’institut médico-légal néerlandais Nederlands Forensisch Instituut pour qui la culpabilité de Trafigura ne fait aucun doute.

D’Abidjan à Londres, se poursuit la mascarade judiciaire consécutive au scandale des déchets toxiques d’août 2006. On se souvient que les déchets du Probo Koala, navire affrété par Trafigura, avaient été déversés dans la banlieue d’Abidjan, provoquant 17 morts et des dizaines de milliers de victimes. Début 2007 à Ouagadougou, Trafigura avait obtenu la libération de Claude Dauphin, son patron français, et échappé aux poursuites en versant 152 millions d’euros à l’État ivoirien. À l’automne 2008, aucun représentant de la multinationale n’était donc présent devant la cour d’assise ivoirienne, qui condamnait en revanche deux responsables de l’entreprise locale agréée quelques semaines avant de « traiter » les déchets. Les documents rassemblés par Greenpeace et quelques journaux européens montrent pourtant que les responsabilités de Trafigura sont écrasantes. Les dénégations de l’entreprise de trading nous obligent à passer en revue un certain nombre de documents qu’elle espère faire vite oublier.

Correspondance interne

Dans le courant du mois de septembre le quotidien britannique The Guardian a divulgué des échanges internes à Trafigura. [1]

Ces messages mettent en évidence l’obstination de la multinationale à gagner des millions de dollars en transformant des hydrocarbures de qualité exécrable sans assumer le coût du traitement des déchets produits. Le lavage
caustique en citerne que Trafigura envisage réduit de moitié la teneur en soufre, permettant, après mélange, d’obtenir une essence commercialisable dans les pays aux normes négligentes. Aucun terminal portuaire n’acceptant d’accueillir ce procédé générateur de déchets très dangereux, les traders imaginent d’effectuer l’opération à bord d’un bateau. Trois cargaisons de coker naphta seront ainsi traitées à bord du Probo Koala, produisant 528m³ de déchets.

La nécessité de ne pas révéler leur nature est communiquée au capitaine du Probo Koala lorsqu’il arrive en Tunisie, où une précédente opération a mal tourné. Claude Dauphin apparaît en copie de certains courriels où les déchets
sont désignés de façon on ne peut plus explicite : « la merde » (« shit ») ! Au détour d’une phrase : « Claude possède une société de traitement de déchets et veut que nous soyons créatifs ». Arrivé à Amsterdam, une entreprise propose de traiter les déchets du Probo Koala pour 1000 euros/m³. Trafigura refuse et le bateau appareille pour l’Estonie puis l’Afrique de l’Ouest. Au Nigéria, le déchargement des déchets sur une barge dans les eaux internationales est envisagé, en vain.

Après discussion avec Dauphin, il est proposé : « on va à Lomé, on affrète une barge et on la ramène au Nigéria sous un autre nom ». Mais ce sera finalement à Abidjan, après 30 heures de déchargement dans les camions citernes loués par la toute nouvelle Société Tommy, que Trafigura se débarrassera de ses déchets.

Un nouveau procès évité

La divulgation de ces courriels est intervenue à moins d’un mois du procès qui devait opposer à Londres le cabinet Leigh Day & Co, représentant plus de 30 000 victimes ivoiriennes, à Trafigura. Entre temps, Trafigura a conclu un arrangement à l’amiable avec ce cabinet anglais pour un montant de 33 millions d’euros, le contenu restant onfidentiel.

Ce qu’on sait est issu d’une déclaration conjointe [2] du 19 septembre affirmant notamment qu’après avis d’une vingtaine d’experts indépendants – dont les analyses ne sont pas publiées –, les avocats des victimes reconnaissent que les déchets du Probo Koala ne peuvent être à l’origine des décès, ni même des symptômes graves observés à Abidjan. Leigh Day & Co a refusé de répondre aux questions gênantes, allant jusqu’à faire disparaître de son site internet toute trace de l’affaire du Probo Koala.

Le rapport Minton

On a appris, depuis cet accord, que Trafigura empêchait The Guardian de publier un rapport gênant, daté du 14 septembre 2006 et écrit par un consultant scientifique, John Milton. Ce rapport explique d’un point de vue théorique les conséquences mortelles de certains composés chimiques issus du procédé utilisé à bord du Probo Koala et estime à 72 tonnes la quantité de composés soufrés présents dans les déchets.

Cette étude corrobore l’analyse d’août 2006 de la Société ivoirienne de Raffinage : « L’échantillon prélevé [...] à bord du Probo Koala […] s’apparente à du produit pétrolier […] avec une très forte teneur en hygrogène sulfuré, substance toxique pouvant à cette dose entraîner la mort immédiate en cas d’inhalation. »

Par une décision de justice du 11 septembre, appelée super-injonction, la multinationale avait obtenu l’interdiction de la publication par The Guardian du rapport Minton mais aussi l’interdiction de toute allusion à l’objet de cette interdiction ! Cette tentative de musellement a toutefois été évitée, après qu’au sein de la Chambre des Communes, un parlementaire s’en soit étonné. Une loi anglaise offre en effet la garantie que tout débat au parlement peut être repris dans la presse. Dès lors, Trafigura ne pouvait plus s’opposer à l’évocation du rapport Minton et les internautes le retrouvèrent rapidement sur le site Wikileaks.

Au final, la super-injonction a été levée et le rapport publié par The Guardian. Par ailleurs, ce rapport était adressé à l’avocat de Claude Dauphin, deux semaines avant son interrogatoire par la justice ivoirienne. Depuis sa publication, Trafigura et John Minton en minimisent la portée, le rabaissant à une ébauche spéculative, dépassée par un autre rapport. Néerlandais cette fois-ci...

Nederlands Forensisch Instituut

Le NFI, institut médico-légal dépendant du ministère de la Justice des Pays-Bas, avait aussi effectué des prélèvements des déchets du Probo Koala, lorsque ce dernier était à Amsterdam, début juillet 2006.

Aujourd’hui Trafigura se défausse sur ce rapport. Mais selon le quotidien néerlandais Volkskrant, Trafigura aurait poursuivi le gouvernement pour que ce document ne soit pas divulgué !

Par ailleurs, lors d’une conférence du PNUD à Beyrouth en mars de cette année, un directeur de programme du NFI a fait une présentation sur les crimes environnementaux, prenant, comme exemple, l’affaire des déchets toxiques d’Abidjan. Cette présentation est aujourd’hui absente de la page internet de la conférence !

Si l’on se fie à cette présentation, il n’existe aucun doute, dans l’esprit du conférencier, sur la responsabilité du « transporteur néerlandais » (il ne nomme pas Trafigura). C’est ce document que Survie a retrouvé, il est désormais disponible sur le site survie.org :

NFI Présentation sur les crimes environnementaux
Exemple, de l’affaire des déchets toxiques d’Abidjan

Ajoutons qu’au vu de la nature dangereuse des déchets, leur déchargement/rechargement au port d’Amsterdam était illégal.

Une procédure judiciaire est donc actuellement en cours aux Pays-Bas. Elle est étroitement observée par Greenpeace [3] qui a déposé une plainte afin que Trafigura et Dauphin soient aussi poursuivis pour les crimes commis en Côte d’Ivoire. La disparition de documents, concourant à l’éclatement de la vérité, est une constante dans l’attitude de Trafigura dans cette affaire. Fort heureusement, Greenpeace et les journalistes du Guardian, de la BBC, du Volkskrant et de la télévision norvégienne NRK s’obstinent à enqûeter.

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Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 185 - Novembre 2009
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