Survie

Guinée : Alpha Condé, réélu par la force

rédigé le 26 octobre 2020 (mis en ligne le 10 janvier 2021) - Emma Cailleau

La séquence électorale d’octobre en Guinée a rejoué les mêmes scènes que le scrutin constitutionnel et législatif de mars : manifestations interdites, arrestations arbitraires, coupure internet, déploiement de l’armée, violences, blessés, morts... Une situation alarmante et prévisible face à laquelle la communauté internationale reste quasiment muette. La France y maintient sa coopération militaire, quand l’armée est devenue la colonne vertébrale de ce régime répressif.

Le temps où Alpha Condé, figure de l’opposition démocratique, était surnommé Mandela de la Guinée, paraît bien loin. Depuis son arrivée au pouvoir en 2010, les espoirs démocratiques se sont vite estompés : violences, calendrier électoral changeant, atteintes aux droits fondamentaux... Ces derniers mois s’inscrivent dans cette continuité. Après un tripatouillage constitutionnel en mars 2020, Condé balaye les vaines et timides tentatives internationales de le dissuader de se lancer dans un troisième mandat.

Une mascarade dans les règles de l’art

L’élection présidentielle du 18 octobre qui s’est déroulée dans un climat extrêmement tendu de violences contre les opposants au troisième mandat, concentre les éléments d’un passage en force. Si le fichier électoral a finalement été expertisé et validé par la CEDEAO, la surreprésentation d’électeurs dans les régions proches du pouvoir s’est confirmée lors des résultats. Deux observateurs de la CENI (commission électorale nationale indépendante) se sont retirés à cause d’anomalies dans le processus de totalisation des voix. De même, le rapport des commissaires de la CENI pointe des anomalies, particulièrement dans la région de Haute Guinée, fief de Condé où les taux de participation avoisinent les 100 % (RFI 26/10/20). Alors que se joue la course aux résultats et que Cellou Dalein Diallo, principal opposant annonce sa victoire, son domicile est encerclé par les forces de l’ordre. Malgré le recours de deux candidats, la cour constitutionnelle valide les résultats et proclame Alpha Condé élu dès le premier tour avec 59,5 % des voix. La communauté internationale commente mollement à travers des communiqués alertant sur certaines irrégularités et appelant au dialogue. L’affaire est pliée et la voie libre pour le régime autoritaire de Condé.

Alpha Condé au Parlement européen en 2018

Un pays coupé du monde

Bloquer les communications est devenu un nouvel outil dans l’arsenal répressif des régimes autoritaires. Déjà, à la veille du référendum constitutionnel du 22 mars, la Guilab (opérateur des infrastructures télécoms), avait annoncé une interruption des services pour travaux de réparation du 21 au 23 mars. Les dits travaux avaient finalement été reportés, mais les réseaux sociaux avaient été bloqués par les fournisseurs d’accès Orange et MTN, pendant 36 heures, à ces mêmes dates. De même, alors que la bataille de l’information bat son plein sur les réseaux sociaux, entre le 10 et 15 octobre, quelques jours avant le scrutin, des réparations sur un câble sous-marin viennent isoler le pays. L’association des blogueurs de Guinée, Ablogui, constate que les prévisions de travaux sont de nouveau annoncées en pleine période électorale. Le 23 octobre, plusieurs heures avant l’annonce des résultats, une coupure entrave la diffusion d’information dans le pays et vers l’international, à un moment décisif. Cette coupure affecte principalement Orange (téléphone, internet...) et les opérateurs MTN et Cellcom pour l’accès aux réseaux sociaux. Orange, principal opérateur du pays (72,4 % de parts du marché au deuxième semestre 2020, selon Jeune Afrique, 26/10/20) déplore dans un communiqué un «  incident constaté sur les sorties à l’international  ». Selon l’entreprise, le problème viendrait de l’accès au câble sous-marin, lequel est géré par l’entreprise Guilab. Selon Guinéenews (26/10/20), dans un tweet supprimé par la suite, le directeur adjoint de l’Agence de régulation des télécommunications, affirmait qu’un « dispositif de surveillance des réseaux sociaux » avait été mis en place par la réduction de la bande passante, afin de «  lutter contre la haine en ligne ». Orange affirme n’avoir eu aucune information concernant cette mesure et appelle au respect de l’égalité du marché, son réseau ayant été plus affecté que celui de ses concurrents. Le doute plane sur la part de responsabilité et de complicité des autorités et des entreprises de télécom. Orange, groupe contrôlé à 25 % par l’État français, a obtenu en 2019 la première licence 4G du pays, acquise pour un montant de 79,5 millions d’euros auprès de l’État guinéen. Le prix d’une place privilégiée passerait-il aussi par quelques arrangements ?

Les forces de sécurité,
pilier du pouvoir

Un mois avant le scrutin présidentiel, Alpha Condé annonçait : « Cette élection n’est pas seulement une élection, c’est comme si nous étions en guerre » (Le Monde, 24/09/20). Effectivement, c’est une véritable guerre que mène Alpha Condé contre les opposants et militants de la société civile : répression des manifestations, arrestations arbitraires, blessés, morts... Le bilan est lourd. Amnesty dénonce les violences commises par les forces de l’ordre : au moins 50 manifestants auraient été tués entre octobre 2019 et juillet 2020. Le FNDC (Front National pour la défense de la constitution), collectif de la société civile contre un troisième mandat, de son côté estime à plus de 90 le nombre morts lors de manifestations depuis le début de leurs mobilisations en juillet 2019. Les élections d’octobre se sont déroulées dans un même contexte de violences : l’UFDG (Union des forces démocratiques de guinée, coalition de l’opposition) annonce 27 morts, quand le pouvoir en décompte 21 après l’élection. De plus, le régime excelle à attiser les tensions, notamment par l’instrumentalisation de discours ethniques, et à reporter la responsabilité des violences sur la société civile. Pourtant, dans ces violences, les forces de sécurité et notamment l’armée jouent un rôle prépondérant. De fait, l’armée intervient dans le maintien de l’ordre. Une loi votée en 2015 l’y autorise lors de manifestation et fait office de permis de tuer (cf. Billets n°249, septembre 2015). Un mois avant le référendum de mars, l’armée était déployée dans tous le pays. De même, dès le 23 octobre, le gouvernement annonce la réquisition de l’armée pour sécuriser le pays. Le FNDC pointe notamment le rôle des trois unités d’élite mobilisées : le Bataillon Spécial de la Présidence, le Bataillon Autonome des Troupes Aéroportées et les Forces Spéciales Guinéennes. La présence de ces troupes a été remarquée après le 23 octobre, dans les quartiers, et à l’Assemblée nationale. Officiellement, Alpha Condé appelle à « ne pas utiliser d’armes létales » contre la population mais après la proclamation de sa victoire, pour sa première sortie, il se rend auprès des militaires et célèbre la traditionnelle Fête de l’armée.

Imperturbable 
coopération militaire

Les violences commises à l’encontre de l’opposition et de la population semblent n’avoir eu aucune conséquence sur la coopération militaire française, qui se poursuit jusqu’à aujourd’hui. Pourtant, les Forces spéciales ne sont pas inconnues des militaires français. Créées en 2018, elles ont pour vocation de lutter contre le terrorisme. Quelques mois après leur création, une formation « aguerrissement commando  » était menée par l’armée française. De même, en décembre 2019, Bruno Baratz, commandant des Éléments français du Sénégal (la base militaire de Dakar), a effectué une visite en Guinée afin de « renforcer la coopération militaire entre la Guinée et la France dans divers domaines, notamment dans le soutien apporté à la montée en puissance du Groupement des Forces spéciales » (cf. Billet n°296, avril 2020). En complément de la présence de 11 coopérants militaires sur place, intégrés à l’armée guinéenne, des formations au titre de la « coopération opérationnelle » sont régulièrement données par les Éléments français du Sénégal. Peu d’éléments permettent de savoir le contenu et le nombre de ces formations. Lors de la signature d’un nouvel accord de coopération militaire, en 2014, l’ambassadeur de France en Guinée, Bertrand Cochery, affirme que cet accord « contribue au renforcement de l’État de droit en Guinée » et qu’il « pérennise, avec les engagements et les obligations qui y sont liées, une relation de coopération bilatérale très forte qui a pour but d’accompagner la constitution d’une armée républicaine et la refondation du lien armée-nation  » (Opex360, 17/01/2014). De telles ambitions devraient être mises en regard avec la situation actuelle.
Il y a 11 ans, la coopération militaire avait été suspendue quelques mois suite au massacre du stade de Conakry le 28 septembre 2009, où des centaines de personnes avaient été tuées par l’armée lors d’un meeting politique de l’opposition. À l’occasion de la commémoration de ce massacre en 2020, à quelques semaines des élections, les ambassades de France, de l’Union Européenne et des Etats-Unis ont « exhorté le Gouvernement guinéen à tenir un procès dans les plus brefs délais  ». Dans une interview accordée à RFI et France 24, Alpha Condé répond que le procès aura lieu lorsque le tribunal ad hoc sera construit ! Tout en rappelant qu’il n’était pas au pouvoir à cette époque, mais opposant. Difficile de demander à un tel gouvernement de faire la justice, alors que la Cour Pénale Internationale vient d’être saisie pour des crimes récents par la coalition Tournons la page Guinée. Plus de dix ans après ce massacre, les alertes de la société civile et d’ONG internationales sur le contexte sécuritaire actuel en Guinée et les violations des droits humains ne suffisent donc pas pour suspendre la coopération militaire, comme en 2009 ? Le contexte de la lutte anti-terroriste favorise-t-il une complaisance avec un régime autoritaire, proche du Sahel, dont l’envoi de 950 soldats pour la MINUSMA à Kidal suscite une reconnaissance de la France ? La multiplication des liens de coopération militaire de la Guinée (Maroc, Arabie Saoudite, USA, Russie…) invite-t-elle à vouloir y garder sa place ?

Un terrain miné ?

Par ailleurs, la coopération française, tant civile que militaire, est engagée dans un projet important aux côtés de la Société Minière de Boké (SMB, Boké étant le village natal d’Alpha Condé) afin de favoriser la formation d’une main d’œuvre locale. L’Agence pour le Service civique d’action pour le développement (ASCAD) a posé la première pierre d’une « école de la seconde chance » à Kankan le 12 septembre 2020, réunissant militaires français, militaires et officiels guinéens. Le projet, coordonné par un militaire français, « coordinateur du projet et conseiller technique de la coopération militaire auprès du directeur général de l’ASCAD » est financé par l’AFD (Agence française de développement) sur un Contrat Désendettement et Développement (C2D) et par la Coopération de défense, pour un montant de 7 millions d’euros. Le sous-sol guinéen a de quoi susciter les convoitises. Première réserve de bauxite au monde, la Guinée est devenu premier exportateur vers la Chine. Ces ressources attirent toutes sortes d’entrepreneurs. Ces derniers mois, les activités minières et surtout de corruption ont fait parler d’elles. L’ONG Sherpa a déposé une plainte contre François Combret, ancien banquier d’affaires et ex conseiller à la présidence d’Alpha Condé pour corruption et trafic d’influence dans le cadre de l’attribution d’un permis de concession minière pour une entreprise australienne. De leur côté, Le Média (23/04/20) puis Libération ont enquêté sur l’AMR, l’Agence Minière Responsable, une jeune société minière française spécialisée dans le bauxite, dont les activités en Guinée ont été favorisées par des réseaux politiques et diplomatiques français. En 2017, l’AMR conclut, en présence de l’ambassadeur de France, un accord allouant les droits d’exploitation à la SMB, consortium chinois et singapourien, détenu à 10 % par l’État guinéen. Libération (11/10/20) révèle un système d’optimisation fiscale au détriment de la Guinée et au bénéfice des actionnaires, parmi lesquels figurent entre autres, Anne Lauvergeon, Xavier Niel, Jean-Pierre Valentini... De plus, la dimension « responsable » de l’AMR, qui prétendait renouveler les pratiques du secteur de l’extraction, tant pour la dimension environnementale que sociale, a été déléguée à la SMB, qui s’y investit peu, hormis via le projet ASCAD, soutenu par la coopération française.

Timides appels
 à un impossible dialogue

Enjeux militaires, enjeux miniers, affaires sensibles... Si des rumeurs rapportent des tentatives françaises pour dissuader Condé de se présenter à un troisième mandat (L’Opinion, 06/04/20), elles n’ont pas été exprimées ouvertement. Les positions de la France restent réservées et policées. En se rangeant derrière la CEDEAO et l’UE, elle appelle au dialogue et au respect des droits. Mais quel dialogue est possible avec un gouvernement qui use d’intimidations et de violences ? Alpha Condé, qui avait convoqué l’ambassadeur de France suite à la déclaration de la diplomatie française après le référendum, ne semble guère apprécier la réserve française. Habile, il déploie une rhétorique anti-colonialiste, s’inscrivant dans l’héritage de Sékou Touré pour réaffirmer la souveraineté de la Guinée et désamorcer d’éventuelles pressions. Mais ni la France, ni un autre pays de la communauté internationale ne semble emprunter cette voie. Plus qu’une langue de bois diplomatique, des actes, comme la suspension de la coopération militaire, permettraient de se désolidariser clairement de la dérive de ce régime.

Emma Cailleau

#GénocideDesTutsis 30 ans déjà
Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 302 - novembre 2020
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