Survie

Vincent Bolloré, nouvelle victime de l’acharnement médiatique

(mis en ligne le 1er janvier 2010) - Alice Primo, Billets d’Afrique et d’ailleurs...

de faire croire pour justifier le procès en diffamation qu’il a entrepris contre France Inter et les journalistes de l’émission Interceptions après la diffusion, le 29 mars, de l’enquête « Cameroun : l’empire noir de Vincent Bolloré ».

Celui qui cherche à se présenter comme un patron humaniste s’évertue en fait à cadenasser son image médiatique. L’aspect le plus visible de cette stratégie est bien sûr le contrôle direct de médias (Direct 8, Direct Soir...) et de structures qui les alimentent en informations (institut de sondage CSA, Associated Press…). Mais cela peut prendre d’autres aspects. Par exemple, en s’attirant les bons services de journalistes. Pius Njawé, directeur du journal camerounais Le Messager, racontait à l’audience du 15 décembre, qu’il avait ainsi dû relever de ses fonctions son rédacteur en chef après que ce dernier, approché par Bolloré, se mit à vanter étrangement ses mérites. Finalement, il troqua sa casquette de journaliste pour celle de consultant en communication, notamment pour le groupe. « Vincent l’Africain » s’est également entouré des services de Dalila Berritane, ancienne responsable du pôle Economie de RFI... jusqu’à son recrutement comme directrice de la communication du groupe Bolloré, auquel ses réseaux professionnels sont sans doute bien utiles. Une évolution de carrière guidée par le devoir d’information ?

En contrôlant Havas (sixième groupe mondial de publicité et communication) et les contrats de pub, Bolloré possède aussi un puissant moyen de pression sur les médias, qui ne peuvent guère se risquer à lui déplaire. Au sein de certaines rédactions, c’est explicite. On ne mord pas la main qui nourrit...

Le procès boomerang ?

Mais cela ne suffit pas : il reste des journalistes capables de faire leur métier, en informant sur les agissements du groupe. Bolloré s’insurge : « Quand on est pris comme cible de façon caricaturale et avec des méthodes sujettes à caution, cela mérite une réaction. » (Jeune Afrique, 9 Vincent Bolloré, nouvelle victime de l’acharnement médiatique novembre 2009). Une menace mise à exécution en attaquant en diffamation France Inter et Benoît Collombat dont le procès a commencé le 15 décembre. Ce pourrait bien être une erreur stratégique et l’occasion d’un grand déballage. Ainsi, Bolloré offre la possibilité à ses détracteurs de se fédérer, et surtout à des témoins privilégiés de faire entendre leur voix, chose quasi impossible dans leur pays. La défense de France Inter s’est, en effet, entourée de syndicalistes, journalistes, défenseurs des droits de l’homme, qui ont apporté à la barre leur témoignage. Les prévenus et le groupe Bolloré, qui s’est porté partie civile, ne s’exprimeront, quant à eux, que le 10 mars prochain, à la demande de l’avocat de Bolloré qui souhaitait, officiellement, disposer de plus de temps pour préparer le dossier. Mais quel que soit le temps de préparation, parviendra-t-il à nier l’évidente nature des activités de son client au Cameroun ? Bolloré devrait écouter Jean-Marc Bikoko, président de la Centrale des syndicats du secteur public qui témoignait à l’audience : «  Les Camerounais n’en peuvent plus. La révolte mûrit de plus en plus, et l’exemple du 27 février 2008 est un avertissement à prendre au sérieux. Bolloré croit avoir conquis le Cameroun, mais il se trompe. Les Camerounais ne vont pas se laisser exploiter éternellement, et la rupture risque d’être violente. » Alice Primo

Quand Survie rencontrait Bolloré

Le 25 juin 2001, François-Xavier Verschave et Sharon Courtoux adressaient un courrier sans concession à Vincent Bolloré, quelques jours après l’avoir rencontré dans son bureau. En voici quelques extraits :

« Ceci est au coeur de notre détermination  : les criminels contre l’humanité impunis ne sont pas fréquentables, encore moins soutenables. Nous pensons aussi qu’une entreprise se compromet gravement lorsqu’elle adresse des signaux amicaux à de tels personnages et leurs régimes. (...)

Vous nous assurez qu’à votre connaissance les concessions forestières que vous exploitez au Cameroun le sont selon les règles, et que vous refusez la corruption. (...). Plus généralement, à propos de votre projet d’investissement dans Camrail, nous vous avons indiqué qu’il est des dictatures cruelles et/ou archicorrompues qui dévoieront sûrement le bénéfice de nouveaux apports financiers, contre la population qu’elles pressurent, et avec la complicité intéressée de leurs partenaires occidentaux. Nous comprenons qu’il est difficile de se retirer d’investissements existants, qui rendent malgré tout un service au public, mais nous pensons que la moindre des choses est de ne pas conforter ces régimes par ce qui apparaîtra comme des joint-ventures. Si au contraire la préférence des investissements va vers des régimes plus légitimes, cela forme une série de signaux implicites, qui sont aussi des gages de recevabilité par les usagers. »

Bolloré s’en est souvenu quelques années plus tard mais pour chercher grossièrement à maquiller la permanence des pratiques de son groupe (Jeune Afrique, 31 mars 2008) : « Nous avons été épinglés par quelqu’un, que j’ai d’ailleurs reçu, que j’ai trouvé assez sympathique même s’il avait écrit des choses terribles sur notre groupe, François-Xavier Verschave (…). Il m’a dit : l’exploitation forestière, la coupe des bois tropicaux, ce n’est pas bien, vous ne devriez pas continuer cela. J’ai alors décidé d’y mettre fin. » Selon Bolloré, il y a donc un avant et un après Verschave. Mais dans ce cas pourquoi a t-il continué à développer ses activités en priorité dans des pays où sévissent toujours des « dictatures cruelles et/ou archicorrompues » : Togo, Cameroun ou Congo-Brazza... On est loin des « régimes plus légitimes » suggérés par Verschave On aimerait y croire en cette période de voeux. En réalité, Bolloré a cédé et quitté la filière bois devant les critiques de la Banque mondiale qui finance les projets d’infrastructures ferroviaires et portuaires, (Financial Times, 7 avril 2002). Or chacun sait que son groupe contrôle, tout ou en partie, nombre de ports ou de lignes ferroviaires africains. On peut aussi penser que la mise en place des premières procédures de certification des activités forestières, à cette période, n’est pas étrangère à son abandon par Bolloré L’émission Interceptions du 29 mars, enquêtant sur les pratiques du groupe Bolloré au Cameroun, nous ramène donc à une réalité plus souvent sordide que rose.

A lire ou relire :


Bolloré : Monopoles, services compris. Tentacules africaines,
Agir ici-Survie, L’Harmattan, Paris

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